Système U et Auchan condamnés à rembourser des millions

Comment Système U et Auchan, comme d’autres distributeurs, facturent aux fournisseurs des sommes colossales pour que leurs produits apparaissent en bonne place dans les rayons.

Claude-Marie Vadrot  • 17 octobre 2016 abonné·es
Système U et Auchan condamnés à rembourser des millions
© Photo : FREDERICK FLORIN / AFP.

Dans la plus grande discrétion, la cour d’appel de Paris a rendu, cet été, deux jugements inédits rappelant à l’ordre deux enseignes de distribution, Système U et Auchan. Ils confirment sans ambigüité que l’une et l’autre sont condamnées à rembourser les dizaines de millions versés par Nestlé, Danone, Yoplait, Lavazza et d’autres pour être mis en valeur dans les rayons. Les attendus des arrêts annulent la facturation qui avait été exigée par Système U pour garantir que les produits des marques concernées bénéficieraient d’une « collaboration marketing » particulière. Les responsables de la chaîne Auchan, eux, ont été condamnés à un remboursement de moindre ampleur pour avoir imposé une contrainte semblable à une petite entreprise produisant des jambons en Normandie : elle s’était vue imposer un versement commercial de 800 000 euros, somme qui a lourdement pesé sur son équilibre économique alors qu’elle était menacée de faillite.

Pour Système U, le montant fixé par la Justice s’élève à 77 millions d’euros assortis d’une amende de 100 000 euros. Cette affaire, qui remonte à 2006, vise à faire rembourser les sommes facturées. Danone obtient donc un remboursement de 32 millions d’euros, Nestlé 23 millions d’euros, Yoplait, une vingtaine de millions d’euros et Lavazza un « petit » million d’euros. Des sommes dont l’ampleur illustre des pratiques occultes classiques. D’après le jugement rendu, les magistrats ont considéré que les services réclamés (et payés) aux marques, ne correspondaient à aucune réalité et constituaient « une pratique illicite ».

Dans ces deux affaires qui visaient à « taxer » les fournisseurs, le tribunal a considéré que les prestations offertes par les distributeurs n’ont « absolument pas force probante ». Ce qui n’est ni dit, ni écrit mais apparaît en filigrane, c’est que ces versements exigés par le distributeur aux producteurs afin de bénéficier d’un traitement préférentiel dans la publicité ou d’une meilleure présentation en tête de gondole, s’apparentent à un véritable racket. À la fin, ce sont les consommateurs qui payent, sur leur facture, le prix de ces arrangements.

Le système n’est pas nouveau dans la grande distribution qui se finance en pressurant les producteurs. Qu’il s’agisse de grands fabricants, de petites entreprises ou d’agriculteurs. Que ces derniers soient isolés ou regroupés dans des coopératives. Pour tous ceux-là, le choix est réduit : soit ils acceptent de payer le prix fort pour être vendus soit ils disparaissent des rayons ; ou bien, dans le meilleur des cas, ils sont relégués dans des espaces moins accessibles aux consommateurs, voire oubliés dans les opérations promotionnelles.

Ces jugements sont d’autant plus importants, même s’ils peuvent encore être contestés devant la Cour de cassation, qu’ils représentent une évolution contre les pratiques des quatre ou cinq grandes centrales d’achat qui exercent des pressions sur les prix. D’autant plus qu’il se dit dans ce milieu que, à l’incitation du ministère de l’Économie et des finances, d’autres plaintes sont en cours de préparation. Les sanctions pourraient peser sur l’avenir d’une grande distribution qui pense pouvoir rester maître des prix tout en faisant en permanence pression sur les producteurs. Ce qui ne change évidemment pas le destin des géants de l’agroalimentaire mais se retrouve dans les prix et, surtout, met en cause la viabilité économique des petites entreprises qui assurent une part non négligeable des produits, frais ou manufacturés. En sont victimes, fréquemment, les producteurs locaux ou régionaux à la recherche de visibilité et de notoriété en se pliant aux exigences de la grande distribution.

Pour aller plus loin…

L’affaire Tran, exemple malheureux d’une justice à deux vitesses
Décryptage 25 novembre 2025

L’affaire Tran, exemple malheureux d’une justice à deux vitesses

112 plaignantes, 1 gynécologue… et 11 ans d’instruction. En 2027, le docteur Tran sera jugé pour de multiples viols et agressions sexuelles. Plaintes ignorées, victimes oubliées, délais rallongés… Cette affaire témoigne de toutes les lacunes de la justice en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Par Salomé Dionisi
« J’étais bloquée face à son pouvoir de médecin »
Entretien 25 novembre 2025 abonné·es

« J’étais bloquée face à son pouvoir de médecin »

Julia* fait partie des nombreuses patientes qui accusent le médecin gynécologue Phuoc-Vinh Tran de viols et d’agressions sexuelles. Treize ans après les faits, elle souhaite prendre la parole pour dénoncer les dégâts que causent les lenteurs de la justice.
Par Hugo Boursier
Elena Mistrello, autrice italienne de BD expulsée : « Ce contrôle des frontières concerne tout le monde, en premier lieu les migrants »
Entretien 25 novembre 2025

Elena Mistrello, autrice italienne de BD expulsée : « Ce contrôle des frontières concerne tout le monde, en premier lieu les migrants »

Après son expulsion forcée en Italie, Elena Mistrello, autrice de BD italienne dénonce dans Politis les moyens de contrôle, de surveillance et de répression déployés par l’État contre les personnes migrantes et les militants.
Par Pauline Migevant
« Nous, victimes du docteur Tran, perdues dans les limbes de la justice »
Justice 25 novembre 2025

« Nous, victimes du docteur Tran, perdues dans les limbes de la justice »

Au terme d’une dizaine d’années d’enquête, le docteur Tran comparaîtra devant la cour criminelle du Val-d’Oise en 2027 pour 112 viols et agressions sexuelles. Dans une tribune, quarante plaignantes alertent sur les délais de la justice.
Par Collectif