Une justice sous pression politique

Pour Corinne Lepage, l’orientation pro-aéroport de la justice administrative dans le dossier de Notre-Dame-des-Landes, en contradiction avec le droit européen, pose la question du respect de l’État de droit.

Lepage Corinne  • 23 novembre 2016
Partager :
Une justice sous pression politique
© Photo : GUILLAUME SOUVANT / AFP

Notre-Dame-des-Landes restera très certainement, au même titre que le Larzac, un moment fort dans l’histoire des luttes écologiques en France mais aussi dans l’histoire politique elle-même.

Où en est-on ? La juridiction administrative française a rejeté tous les recours, et la cour administrative d’appel de Nantes, présidée par un conseiller d’État, mérite une attention particulière. Non pas en raison d’une position originale, mais au contraire de son orthodoxie.

En effet, les conclusions de la rapporteure publique, début novembre, étaient particulièrement longues, étayées et claires ; elle avait en particulier insisté sur les raisons rendant le projet illégal au regard de la loi sur l’eau et des textes sur les espèces protégées, et pour lesquelles une dérogation n’était pas justifiée compte tenu des possibilités d’aménagement de l’aéroport existant. Or, la cour d’appel ne l’a pas suivie, ce qui est particulièrement rare – moins de 10 % des cas, et le plus souvent lorsque le rapporteur public est hésitant dans ses conclusions.

Il est particulièrement surprenant, sur un dossier aussi emblématique et délicat, que la cour d’appel ait délibérément pris une position contraire. D’autant plus que la Commission européenne, en avril 2014, avait mis la France en demeure dans le cadre d’une procédure d’infraction pour avoir méconnu la réglementation communautaire et, notamment, fragmenté les études d’impact. De son côté, la Commission nationale de protection de la nature (CNPN) avait émis un avis négatif sur la demande de dérogation. Tout cela n’a évidemment pas empêché le gouvernement de poursuivre comme si de rien n’était.

Beaucoup plus troublant, le Conseil d’État et la cour administrative d’appel de Nantes considèrent comme parfaitement légal ce que la Commission tient pour une infraction caractérisée à la législation communautaire. Que la rapporteure publique donne une lecture de la loi conforme à celle de la Commission accroît le trouble. Il y aurait donc deux lectures possibles du droit communautaire ? Il est plus que permis d’en douter, d’autant que l’objectivité du « saucissonnage » de l’étude d’impact comme de la violation de la loi sur l’eau et celle des espèces protégées est indiscutable. Le débat porte sur la validité des dérogations. Or, l’avis de la CNPN – qui n’est certes qu’un avis – est parfaitement motivé sur l’inopportunité de cette dérogation.

La pression politique n’a-t-elle pas influencé le sens des décisions juridictionnelles ? Nous le saurons le jour où la Cour de justice de l’Union européenne, saisie à la suite du refus de la France de se conformer au droit communautaire, aura tranché. Mais nous en sommes encore loin. Et, dans l’hypothèse où la Cour confirmerait l’interprétation de la Commission, et où la France aurait mené à bien ce projet contesté et contestable, le contribuable français n’aurait plus qu’à ouvrir son porte-monnaie.

Cette situation interpelle notre fonctionnement démocratique :

– Pourquoi le respect de l’État de droit par l’État lui-même est-il un problème dès lors qu’il s’agit de l’installation d’une infrastructure ? Et pourquoi les citoyens sont-ils toujours considérés comme incapables de participer à la prise de décision, y compris pour faire respecter l’État de droit ?

– Pourquoi le Conseil d’État valide-t-il quasiment toujours les grands projets (nucléaire, autoroutes, etc.) auxquels tiennent les gouvernements successifs, et comment peut-il justifier une position contraire à la Commission européenne sur le droit communautaire ?

– Peut-on admettre un système dans lequel les décideurs de mauvais projets (inutiles, trop coûteux, inadaptés, voire pire) ne sont jamais responsables de rien ?

Ce sont des questions politiques majeures. Faute de recevoir les réponses appropriées, elles alimentent la frustration, la colère et une défiance envers les gouvernements qui se traduit dans les urnes.

Corinne Lepage Avocate, ancienne ministre et eurodéputée, présidente de CAP 21/LRC.

Écologie
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

A69 : des usines à bitume irritent les riverains

Reportage 10 décembre 2025 abonné·es

A69 : des usines à bitume irritent les riverains


Depuis cet automne, deux usines pour fabriquer l’enrobé de l’A69 ont été installées à proximité du tracé. Les potentiels rejets de substances toxiques inquiètent des riverains, qui ont conçu leurs propres capteurs d’air.
Par Vanina Delmas
A69 : les cinq enjeux d’une audience cruciale
Décryptage 10 décembre 2025 abonné·es

A69 : les cinq enjeux d’une audience cruciale

Une audience cruciale est prévue à la cour administrative d’appel de Toulouse ce jeudi 11 décembre pour acter ou non la poursuite du chantier de l’A69. Décryptage des principaux enjeux.
Par Vanina Delmas
Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 
Entretien 10 décembre 2025 abonné·es

Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 

Il y a dix ans, lors de la COP 21, 196 pays s’engageaient dans l’accord de Paris à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour contenir le réchauffement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Depuis, la climatologue ne ménage pas son temps pour faire de la vulgarisation scientifique et reste une vigie scrupuleuse sur la place des faits scientifiques.
Par Vanina Delmas
Serment de Cambrai : des mutuelles s’unissent contre les ravages des pesticides
Initiative 4 décembre 2025 abonné·es

Serment de Cambrai : des mutuelles s’unissent contre les ravages des pesticides

Face à l’explosion des maladies chroniques, des complémentaires santé s’engagent contre l’agrochimie en France et en Europe, notamment en prévoyant d’investir dans des projets agroécologiques.
Par Vanina Delmas