Gestion de l’eau : Les courants contraires du PCF

Plusieurs communes d’Île-de-France pourraient basculer vers le public. Mais les équilibres anciens sont difficiles à faire bouger.

Erwan Manac'h  • 15 mars 2017 abonné·es
Gestion de l’eau : Les courants contraires du PCF
© photo : Manuel Cohen / AFP

L’attribution du marché de l’eau potable a toujours généré des relations troubles entre les élus locaux et les multinationales. Avec le vent nouveau qui souffle sur ce débat depuis une dizaine d’années, le Parti communiste se trouve face à un devoir d’inventaire. En particulier parce qu’il est majoritaire dans des territoires clés de la guerre du Grand Paris de l’eau.

Les manœuvres de Suez à Viry-Châtillon

En 2011, la ville de Viry-Châtillon (Essonne) reprend la gestion de l’eau en régie publique, en se branchant aux tuyaux de la Ville de Paris, moyennant la construction d’une station de raccordement. Coût de l’opération : 5,6 millions d’euros. Largement compensés par la baisse du prix de l’eau pour les usagers : 30 % en dessous de la moyenne du département.

Mais, lorsque l’UDI reprend le contrôle de la ville en 2014, la nouvelle majorité s’empresse de revenir sur la décision de son prédécesseur, l’élu du Parti de gauche Gabriel Amard. Arguant du déficit de la régie publique, la municipalité retourne acheter son eau à Suez. Or, le déficit était monté de toutes pièces, car ignorant le projet de mariage avec le voisin Grigny, qui devait entrer dans la régie en 2018 après la fin de son contrat de délégation avec Suez. Un plan approuvé à Grigny et à Viry-Châtillon, lors d’une consultation publique, par 95 % de votes favorables.

Le nouvel édile scelle le sort du partenariat avec Eau de Paris en 2016. Et la station de raccordement flambant neuve reste aujourd’hui inerte. Pis, selon les élus de l’opposition, pour empêcher que Viry-Châtillon ne cède la station à ses voisins, Grigny et Ris-Orangis, Suez offre 200 000 euros par an à la commune, en location d’une station désormais inutile ! Il faut dire que la perte de ce marché aurait valu à Suez, selon l’estimation de Marianne, une perte sèche de 14 millions d’euros par an.

Officiellement, le parti défend le service public de l’eau, « un besoin, un droit, un combat », et appelle à rompre la « symbiose parasitaire [des multinationales] avec les collectivités » en négociant au plus serré les contrats ou en reprenant l’eau en régie publique partout où c’est possible. « Nous sommes bien reçus lorsque nous nous adressons aux élus locaux sur ces questions, observe Joël Josso, membre de la Coordination Eau Île-de-France et élu PCF-Front de gauche en Val-de-Marne. C’est plus difficile lorsqu’il faut prendre des décisions concrètes. »

À l’heure du vote, en effet, les élus communistes se montrent souvent frileux. « S’il y a des dossiers qui ne se clarifient pas, c’est qu’il y a des fils à la patte », note Gabriel Amard, ancien maire PG de Viry-Châtillon. « J’ai vu des relations contre-intuitives », raconte également Anne Le Strat, qui a géré en 2010 le passage en régie publique de la gestion de l’eau parisienne. « Les syndicats des eaux sont les pompes à fric des partis politiques », tranche Jean-Luc Touly, salarié de Veolia et lanceur d’alerte. Il pointe notamment les soupçons de corruption au Siaap, chargé de l’assainissement en Île-de-France, au budget pharaonique de 1,4 milliard d’euros, dont la droite laisse la gestion au PC en vertu d’une répartition des rôles héritée de la Libération. L’attribution de marchés publics à une PME fondée par l’ancien directeur du syndicat a fait l’objet d’une enquête fin 2015.

Mais il y a aussi, de notoriété publique, des pratiques tout à fait légales qui scellent les liens entre les multinationales et les élus : les stands loués par Suez et Veolia à la Fête de l’Humanité, les encarts publicitaires achetés dans les journaux proches du parti, le sponsoring des équipes sportives locales ou encore les usines installées sur le territoire de la commune. En octobre, Veolia a ainsi déménagé son siège, et ses 2 500 salariés, de Paris à Aubervilliers – ville en délégation auprès de la multinationale.

« Il y a de vieilles habitudes qui perdurent en partie, l’eau reste un sujet qui gêne au sein du PCF, mais cela s’est un peu atténué depuis vingt ans. Nous espérons aujourd’hui que des collectivités puissent faire entendre leur voix pour le passage en régie publique », nuance Joël Josso. Selon Hervé Bramy, responsable du pôle écologie au PCF, les freins viennent surtout d’un manque de compétence des élus locaux, après des décennies de délégation. « Ils ont souvent l’impression que c’est plus facile de laisser la gestion de l’eau en délégation. C’est pour cela qu’on défend l’idée d’un service public pour accompagner les élus vers le retour en régie », observe l’ancien président du conseil général de Seine-Saint-Denis. Les situations sont donc amenées à bouger, avec un enjeu de taille dans les villes de la ceinture rouge. Si l’envie leur en prenait, elles pourraient en effet facilement se raccorder à la Ville de Paris.

Politique
Publié dans le dossier
Public-privé : La guerre de l’eau
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