Mélenchon-Hamon : Les causes de la division

Il n’y aura pas d’accord entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Ni l’un ni l’autre n’envisageait la possibilité d’une candidature commune pour quatre raisons, au moins.

Michel Soudais  • 1 mars 2017 abonné·es
Mélenchon-Hamon : Les causes de la division
© photo : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP

La séquence est close. Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ont tous deux mis un terme, dimanche 26 février, au feuilleton qui durait depuis un mois. Les deux candidats ont reconnu, le premier sur TF1, le second dans un message sur Facebook, s’être rencontrés discrètement deux jours plus tôt dans un restaurant chilien de la capitale pour un dîner en tête-à-tête. « Je n’ai pas été surpris qu’il me confirme sa candidature et il ne l’a pas été que je lui confirme la mienne », écrit le candidat de la France insoumise, qui ajoute qu’ils ont « convenu d’un code de respect mutuel dans la campagne ». Non sans avoir fait « le tour de [leurs] convergences et de [leurs] divergences ».

Les appels lancés sur Internet depuis la victoire de Benoît Hamon dans la primaire de la Belle Alliance populaire afin de réclamer une candidature commune – laquelle ? – n’y ont rien changé. Les quelque 80 000 signataires de cette demande ont encore du mal à se convaincre, notamment après le soutien de Yannick Jadot à Benoît Hamon, qu’un accord qui permette à la gauche sociale et écologiste d’être représentée au second tour était compliqué, sinon impossible, à trouver dans un délai aussi bref. Et un nouvel appel, émanant de trois médias – Libération, Mediapart et Regards – invite les deux candidats à « débattre publiquement de ce qui les distingue et justifie ainsi une impossible entente ». Sans préjuger de leur réponse à cette invitation, tentons d’en dresser l’inventaire.

La première justification est de nature électorale. Rien ne dit que les pourcentages dont sont crédités Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon s’additionneraient dans les urnes. Dans un scrutin, un plus un n’est pas égal à deux. EELV et le Front de gauche l’ont vérifié à leurs dépens aux élections régionales en Paca et dans l’Occitanie/Pyrénées-Méditerranée. Évoquant « la masse de rancœur et de désillusion » suscitée par le quinquennat de François Hollande, Jean-Luc Mélenchon a lui-même reconnu, face à l’acteur Philippe Torreton, sur le plateau de « L’émission politique », le 23 février, que « les gens qui sont avec [lui] détestent tellement le PS » qu’il doit les appeler au calme. Benoît Hamon n’a rien dit de tel, mais n’est pas moins soumis à une pression inverse, et d’autant plus importante qu’elle émane de députés ou de ministres.

« Dans l’état actuel des choses, moi et des dizaines et des dizaines d’autres parlementaires, nous ne pouvons pas donner notre parrainage à Benoît Hamon », a déclaré mardi matin Jean-Marie Le Guen, très critique sur l’accord passé avec Yannick Jadot. Plusieurs autres proches de Manuel Valls sont montés au créneau pour désapprouver l’accord avec les écologistes, ou se désolidariser de la campagne. Après le ralliement de Christophe Caresche à Emmanuel Macron, le député Yves Blein devait soumettre mardi à la trentaine de parlementaires du Pôle des réformateurs un projet de lettre ouverte, adressée au Premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, sommant le PS de dire « clairement que […] le rassemblement à rechercher va plus sûrement de Hamon à Macron que de Hamon à Mélenchon ».

La seconde justification tient à l’absence de garanties sur la future majorité. La question soulevée par Jean-Luc Mélenchon se résume ainsi : comment imaginer « défaire l’essentiel des lois du quinquennat avec les gens qui les ont votées » ? Jusqu’à l’accord avec Yannick Jadot, et pour des cas limités, Benoît Hamon a refusé de remettre en cause l’investiture des 395 candidats du PS, dont 165 sortants, déjà actée. Ce serait « couper des têtes ». Or, il vient d’intégrer dans son « conseil politique » de campagne des élus connus pour défendre des positions contraires à son programme. C’est le cas du secrétaire d’État au Commerce extérieur, Matthias Fekl, partisan de ratifier le Ceta. Le dossier « sécurité » a été confié au député Dominique Raimbourg. Président de la commission des lois depuis treize mois, il a porté plusieurs lois sécuritaires contestées, dont la dernière adoptée début février étend les pouvoirs de la police ; il était aussi rapporteur du projet de loi qui voulait inscrire l’état d’urgence et la déchéance de nationalité dans la Constitution.

La troisième justification est d’ordre programmatique. Si des convergences existent entre les programmes des deux candidats – leur amplification est même envisageable, Benoît Hamon ayant choisi de poser le sien « brique par brique » avant de le « récapituler dans un document au terme de l’exercice » –, le désaccord le plus prégnant touche à l’avenir de l’Union européenne. Or les traités et le cadre actuel de cette dernière empêchent « tout programme de transition écologique ambitieux, de défense des services publics, de relance de l’activité par l’investissement, de redistribution des richesses », rappellent les insoumis, qui plaident pour un bras de fer avec les institutions européennes : une désobéissance aux traités, proposant une renégociation complète des traités (plan A), avec en cas d’échec des négociations une sortie de la zone euro et la construction de « nouvelles coopérations avec les États qui le souhaitent ». Ce bras de fer est refusé par Benoît Hamon, qui pense pouvoir convaincre les Allemands, en leur proposant un traité de l’énergie et un autre de défense européenne, de renégocier un nouveau traité budgétaire qui instaurerait « une assemblée de la zone euro », une idée déjà avancée par François Hollande et Manuel Valls, mais aussi Emmanuel Macron.

D’autres divergences n’ont rien de mineures. Jean-Luc Mélenchon veut sortir la France de l’Otan, Benoît Hamon n’en souffle mot. Leurs 6es républiques diffèrent sensiblement, sur leur mode d’élaboration : issue d’une Constituante composée d’aucun parlementaire ayant siégé sous la Ve République et de citoyens tirés au sort pour le premier, élaborée par « une conférence citoyenne » réunissant en trois collèges « les parlementaires, les sages [sic] et des citoyens » pour le second. Et les règles institutionnelles envisagées ne sont pas non plus identiques.

Une dernière justification touche à la stratégie. Quand Benoît Hamon veut « commencer par rassembler les socialistes, tous les socialistes » et étendre le rassemblement en se tournant « vers tous les Français de gauche tentés par Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron », il veut maintenir la centralité du PS au sein de la gauche. Jean-Luc Mélenchon ne croit pas possible, lui, de « recoller les morceaux du PS » sans se couper « de ceux qui veulent purger le bilan du quinquennat ». Convaincu depuis la présidentielle de 2007 que l’évolution du PS conduit inéluctablement à la disparition de la gauche des institutions, comme cela s’est produit en Italie, il travaille depuis à la réinventer pour l’installer durablement comme une force consciente capable de rassembler autour d’un « intérêt général humain » fondé sur le paradigme écologique. Seule capable, à ses yeux, d’entraîner « un vote d’adhésion rationnelle » quand des accords d’appareils ne peuvent « regrouper [que] tous ceux qui ont peur ». Et « brader tout ce qui a été rassemblé ».

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