Expulsions : les personnes prioritaires au relogement visées malgré la loi

La Fondation Abbé-Pierre alerte sur l’augmentation des expulsions locatives de personnes pouvant bénéficier du le droit au logement opposable (Dalo).

Malika Butzbach  • 8 juin 2017 abonné·es
Expulsions : les personnes prioritaires au relogement visées malgré la loi
© Photo : Malika Butzbach

Sur les quais de la Seine, devant la préfecture de Paris, une dizaine de personnes sont réunies pour une conférence de presse « un peu sauvage », plaisantent les organisateurs de la Fondation Abbé-Pierre. Depuis la fin de la trêve hivernale, le 1er avril, la fondation et l’association Comité actions logement (CAL) ont constaté une reprise importante des expulsions locatives, en particulier chez les ménages prioritaires Dalo.

Onze expulsions en trois mois

La loi sur le droit au logement opposable (Dalo), adoptée le 5 mars 2007, dispose que les personnes menacées d’expulsion et dans l’incapacité de se reloger par elles-mêmes peuvent être reconnues prioritaires au relogement. Depuis, la circulaire publiée le 26 octobre 2012 puis réitérée en mars 2016, demande aux préfets de ne pas expulser ces personnes avant leur relogement effectif.

Malgré cela, la Fondation s’inquiète face à la hausse des expulsions de ces personnes depuis la fin de la trêve hivernale. « Ces chiffres sont incomplets, car nous les avons collectés via notre Espace solidarité habitat. Ils sont donc sans doute en deçà de la réalité, prévient Manuel Domergue, directeur des études de la fondation. Mais du 1er avril au 6 juin, nous avons comptabilisé onze expulsions de personnes prioritaires, contre une dans la même période de l’année précédente. »

« Deux agents sont venus chez moi »

Parmi les personnes expulsées, il y a Dominique, 57 ans. Cet ancien chef d’entreprise est venu raconter son histoire : après la cessation de son activité en 2013, « la faute à la conjoncture économique », les difficulté financières sont apparues et notamment pour le loyer. « C’était la descente aux enfers, témoigne-t-il. Après que j’ai eu quatre mois de retard, mon propriétaire a refusé les APL, le fonds de solidarité pour le logement… Il voulait que je parte, je représentais un risque pour lui. » Reconnu Dalo en 2014, il reçoit une proposition de relogement en mai 2017. La décision doit être rendue le 14 juin. Mais le vendredi 2 juin, sans être prévenu, il est expulsé. « Deux agents sont venus chez moi, avec leur gilet pare-balles et la main sur leurs pistolets, explique-t-il en imitant le geste. J’ai parlé avec eux, ils m’ont dit que la décision avait été prise le 26 avril, mais je n’ai jamais reçu un papier qui m’annonçait ça ! » Depuis, il loge dans un hôtel à Saint-Ouen, « pas très loin du marché aux puces », en attendant la décision de relogement qui arrivera dans une semaine.

Nombreuses menaces d’expulsion

La Fondation Abbé-Pierre a aussi comptabilisé 20 personnes sous la menace d’une expulsion, dont Fabrice, qui vient de fêter ses 60 ans. En 2011, après son divorce et la perte de son emploi, celui-ci a du mal à payer son loyer de 1 400 euros dans le XVIIe arrondissement. Diplômé d’HEC, il peine à trouver un CDI et enchaîne les contrats courts en tant que professeur d’anglais ou traducteur. « J’ai été reconnu Dalo en 2014. Ils m’ont fait une proposition de relogement mais, finalement, mon dossier n’a pas été retenu. »

Il a reçu un avis d’expulsion au 15 juin. « Perdre mon logement, ça signifie perdre aussi mon travail et que mes efforts de réinsertion seront réduits à néant », s’inquiète-t-il. Il a demandé un délai d’un an au juge de l’exécution (JEX), « pour pouvoir retomber sur [ses] pattes ». Problème : son audience doit avoir lieu le 25 juin, et il lui faut attendre jusqu’au 15 juillet pour le délibéré. « C’est absurde : c’est un mois après mon expulsion ! »

« Le plus haut niveau d’expulsions jamais vu »

« L’État est doublement hors-la-loi : il ne reloge pas ces personnes malgré la loi et les expulsent tout de même, sans respecter les circulaires, dénoncent Manuel Domergue, alors que la petite troupe se met en marche vers la préfecture de police de Paris. Le but de la mobilisation étant d’obtenir un rendez-vous avec le préfet afin que celui-ci s’engage à respecter les circulaires. « On y croit tous », blaguent les organisateurs. Mais derrière l’humour, l’inquiétude est tenace et les chiffres alarmants : en 2015, les expulsions ont augmenté de 24 %, représentant plus de 14 000 ménages.

Société
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