Loi travail : derrière le miroir

Prompt à vanter les objectifs de sa réforme du Code du travail, le gouvernement aurait voulu éviter qu’on l’examine trop en détail. Tant de diables s’y nichent…

Michel Soudais  • 6 septembre 2017 abonné·es
Loi travail : derrière le miroir
© photo : ALAIN JOCARD/AFP

La pédagogie est, dit-on, l’art de la répétition. En cette période de rentrée scolaire, le gouvernement paraît bien avoir fait de cet adage la maxime de sa communication. Depuis une semaine, ses ministres saturent les antennes et les médias pour « vendre » les bienfaits supposés de leurs ordonnances réformant le code du travail, persuadés qu’ils sont, comme la plupart de leurs prédécesseurs, qu’une réforme est rejetée quand elle n’a pas été assez justifiée et expliquée. Ils martèlent ainsi que « la rénovation de notre modèle social » est « in-dis-pen-sa-ble », que les cinq ordonnances dévoilées le 31 août constituent « une réforme ambitieuse, équilibrée et juste »… Mais un mensonge cent fois répété n’en devient pas pour autant une vérité.

Ambitieuse ? Reconnaissons au gouvernement que l’adjectif n’est pas totalement inapproprié s’agissant de caractériser les « 36 mesures concrètes et opérationnelles » contenues dans les 159 pages de ses cinq ordonnances puisque, selon le mot de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, celles-ci visent rien de moins qu’à « changer l’état d’esprit du Code du travail ». C’est le cas de la fin du principe de faveur et de l’inversion de la hiérarchie des normes à laquelle aboutissent la multiplication des domaines qui relèveront des accords d’entreprise et le transfert aux branches de sujets jusqu’ici définis par la loi. Le cas également de toutes les dispositions visant à simplifier les licenciements et leur coût pour le seul bénéfice de l’employeur dont les actes sont sécurisés, y compris quand il est fautif, alors que le code du travail était jusqu’ici destiné à protéger le salarié.

Pour autant le gouvernement minore lui-même la portée de sa réforme. Il la présentait, durant l’été, comme un remède au chômage de masse. « Les résultats de cette politique ne seront pas immédiats », avertit désormais Édouard Philippe, anticipant les probables vagues de licenciements que sa déréglementation va susciter. « Notre réforme est indispensable, mais ce n’est pas un remède miracle », reconnaît-il dans Le Journal du dimanche (3 septembre), précisant que ce n’est que « l’un des instruments qui doivent contribuer à faire reculer le chômage ». Une pierre dans « un processus global » qui comprend d’autres réformes d’ampleur (formation professionnelle, assurance chômage, retraites, fiscalité…) que le gouvernement envisage d’initier dès la fin du mois. Selon la même méthode de « dialogue social » qui se borne à « écouter » les partenaires sociaux.

Équilibrée ? Ce n’est pas l’impression qui domine si on en croit les partenaires sociaux. Alors qu’aucune confédération syndicale de salariés n’a applaudi à la réforme du gouvernement (voir ici), les organisations patronales ont toutes fait part de leur satisfaction. L’Union des entreprises de proximité (U2P), qui rassemble artisans, commerçants et professions libérales, s’est dite « pleinement satisfaite […] d’avoir été entendue sur la quasi-totalité des points » qu’elle avait soulevés. La réforme apporte « la confiance dont ont besoin les chefs d’entreprise pour entreprendre dans notre pays », s’est félicité le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin, saluant « des ordonnances particulièrement pragmatiques, qui collent à la réalité du terrain ». Un satisfecit partagé par Pierre Gattaz, qui s’est réjoui de cette « première étape importante dans la construction d’un droit du travail plus en phase avec la réalité quotidienne des entreprises ». Le président du Medef est d’ailleurs le seul à coller à la communication du gouvernement : il perçoit lui aussi le contenu des ordonnances comme « un point d’équilibre » qu’il « accepte ».

Les réactions politiques indiquent également clairement de quel côté penche la balance. Si elles sont critiques, voire franchement hostiles, du Parti socialiste à la France insoumise en passant par le PCF, elles sont très accommodantes à droite, où plusieurs responsables du parti Les Républicains, dont les anciens ministre du Travail Gérard Larcher et Xavier Bertrand, ont appelé leur parti à ratifier les ordonnances. « Cette loi était dans notre programme », a ainsi reconnu Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France.

Juste ? C’est certainement la plus discutable des affirmations du gouvernement. Est-il juste de « contourner le pouvoir d’appréciation du juge au motif de meilleure prévisibilité » comme le déplore l’Union syndicale des magistrats ? De tarifier, par l’instauration de barèmes obligatoires avec des planchers et des plafonds, les préjudices que les employeurs pourraient causer à leurs salariés licenciés sans cause réelle ni sérieuse ? Est-il juste de « consacrer les jurisprudences favorables aux entreprises », et elles seules, comme le dénonce le Syndicat des avocats de France ?

Ce ne sont là que quelques exemples des conséquences qu’auront ces ordonnances sur la vie quotidienne de millions de salariés. Les syndicalistes, les juristes et les spécialistes du droit social ont commencé à les entrevoir (voir ici). Ce qui ne fait pas les affaires du gouvernement. À la veille de la présentation des ordonnances, Emmanuel Macron avait mis en garde, dans Le Point (30 août), « contre la myopie » qui consisterait à débattre « à l’infini de la portée de ses articles ». Cette « réduction technicienne », à laquelle « tout le monde, de l’administration aux journalistes » cède, est « une mauvaise habitude », assurait-il. C’est pourtant la seule approche qui vaille.

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