Budget 2018 : Paradis fiscal ou enfer social ?

En dépit des effets de manche du gouvernement, le premier budget du quinquennat contient un choc fiscal et une cure d’austérité de grande ampleur.

Erwan Manac'h  • 4 octobre 2017 abonné·es
Budget 2018 : Paradis fiscal ou enfer social ?
© photo : JOEL SAGET/AFP

Jamais les préceptes néolibéraux n’auront été assumés avec autant de clarté en France. L’équation est simple : les impôts sont diminués de 5,8 milliards d’euros pour les entreprises et les grandes fortunes (hors CICE). Et le gouvernement d’Édouard Philippe espère que les 340 000 millionnaires assujettis à l’ISF réinvestiront ces sommes pour relancer l’économie (lire ici). « Nous assistons à l’accentuation d’une politique qui va privilégier les plus riches, résume Anne Guyot-Welke, porte-parole de Solidaires Finances publiques. L’impôt sur les entreprises et le capital se réduit, et l’écart se creuse avec celui qui pèse sur les salariés. »

Le cadeau fiscal est tellement voyant que même la droite semble gênée aux entournures et milite désormais pour une taxe sur les signes ostentatoires de richesse – comme les yachts ou les lingots d’or. Prière donc de cacher ces richesses outrancières que la politique fiscale du gouvernement va faire fleurir.

Le gouvernement a toutefois joué une partition habile pour présenter ses arbitrages, en livrant des chiffres bruts non corrigés par l’inflation et la croissance. Un artifice qui lui permet d’afficher des budgets en hausse dans la plupart des ministères. Mais, correction faite [1], deux tiers de missions de l’État affichent des crédits en baisse, avec des économies totales équivalentes à 15 milliards d’euros.

Ce premier budget macronien prévoit notamment le non-remplacement de 1 600 fonctionnaires partant à la retraite. Ainsi se poursuit un mouvement entamé sous Nicolas Sarkozy avec la « révision générale des politiques publiques » (RGPP) et poursuivi par François Hollande avec la « modernisation de l’action publique » (MAP). Emmanuel Macron instaure, lui, un « comité Action publique 2022 » (CAP 22).

Parmi les chanceux figurent les ministères de la Défense et de l’Intérieur, en légère augmentation, et la mission « investissements d’avenir », qui bénéficiera d’un plan de 1,08 milliard d’euros financé par des privatisations. En revanche, contrairement à ce qu’affiche le gouvernement, le budget alloué à l’Éducation stagne. Le dédoublement de 11 100 classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire se fera donc par redéploiement des forces vives.

Le reste ressemble à une longue liste de mesures antisociales maquillées en « gestion dynamique », « optimisation » et « rééquilibrage ». Un effort sans précédent de 4,1 milliards d’euros est demandé à l’assurance-maladie, notamment avec l’accélération des réorganisations dans les hôpitaux et la hausse de 2 euros du forfait hospitalier, que les mutuelles devraient répercuter sur leurs adhérents. « Les premières victimes seront les personnes les plus fragiles, c’est-à-dire celles qui n’ont pas de complémentaire santé », juge le Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Il faudra aussi surveiller comment le gouvernement atteindra l’objectif de 165 millions d’euros d’économies sur les indemnités journalières des salariés en arrêt maladie. Comment il dégagera 180 millions d’euros grâce aux déremboursements de médicaments, et 390 millions d’euros en économisant sur les médicaments coûteux, qui font l’objet d’une comptabilité à part dans les hôpitaux (appelée « liste en sus »). Les services du ministère, pour l’heure, demeurent évasifs.

Sur l’autre levier important d’économies budgétaires, les dotations que l’État verse aux collectivités, le niveau de confusion atteint également des sommets. Édouard Philippe, le Premier ministre, annonce qu’il n’y aura aucune baisse en 2018. Mais les présidents de région, de gauche comme de droite, ont brutalement claqué la porte de la « conférence des territoires », installée en juillet. Ils considèrent comme un affront la suppression du fonds de soutien au développement économique (450 millions d’euros).

Le coup sera rude également pour le logement social. Le gouvernement compte piocher 2,24 milliards d’euros dans les caisses des bailleurs, en forçant un virage à 90 degrés de la politique française de logement, fondée jusqu’alors sur la solidarité. Les bailleurs perdent 70 % de leur capacité d’investissement – soit 22 000 constructions ou réhabilitations rien qu’en Île-de-France – et pas moins de 120 bailleurs risquent leur survie, selon l’estimation du l’Union sociale pour l’habitat. Pour compenser ces coupes sur les HLM, le gouvernement compte sur l’appétit des « investisseurs » privés, éveillé par un détricotage des normes sociales et environnementales.

La politique de l’emploi sera également amputée de 11,5 % de ses crédits, avec des milliers de suppressions de postes à prévoir dans les effectifs d’agents de Pole emploi, une forte réduction des aides à l’embauche dans les petites entreprises et une baisse de 56 % des contrats aidés. Les derniers contrats restants seront concentrés sur l’accompagnement des enfants en situation de handicap. Il y a donc péril pour nombre d’associations, souvent investies de missions qui relevaient encore du service public il y a une dizaine d’années. Autre mauvaise nouvelle pour le secteur associatif, les crédits alloués aux sports chutent de 7 % en 2018, au détriment de bien des petits clubs.

Les coupes seront aussi sans pitié pour les chambres de commerce (– 17 %), qui devront fermer des écoles et annuler des formations. France Télévisions devra également fonctionner avec 47 millions d’euros de moins que prévu (baisse de 1 % par rapport à 2017), ce qui devrait accélérer la suppression de la plupart des éditions d’information locale de format court.

« Nous changeons de paradigme, s’attriste Michel Jallamion, président de la Convergence nationale des services publics. C’est la fin du consensus hérité de la Libération, avec un aménagement équilibré de la France où tout le monde devait avoir les mêmes droits ».

Signe des temps, la cellule de régularisation qui permettait aux exilés fiscaux de rapatrier leurs millions en conciliation avec le fisc français sera fermée à la fin de l’année. Alors qu’au même moment l’administration fiscale devra supprimer les postes de 1 600 fonctionnaires partant à la retraite. « C’est d’autant plus inacceptable que nous sommes l’administration à la pointe de la lutte contre l’évasion fiscale », soupire Olivier Vadebout, secrétaire général de la CGT Finances publiques, qui comptabilise 30 000 suppressions d’emploi en dix ans. À croire que le gouvernement compte davantage sur ses baisses d’impôt pour faire rentrer les milliards cachés dans les paradis fiscaux.

Il faudra attendre les arbitrages ministère par ministère pour connaître la portée réelle de cette cure d’austérité. « Partout en France il y a des mouvements citoyens pour défendre les bureaux de poste ou les hôpitaux, il faut que tout cela converge », espère Michel Jallamion. À commencer, espère le militant, par le 10 octobre, journée de grève dans la fonction publique. Fait rarissime, la totalité des organisations syndicales appelle à la grève.

[1] Par nos confrères d’Alternatives économiques notamment, qui présentent les chiffres corrigés avec l’inflation et la croissance.

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