Varoufakis : Chronique d’une défaite

Yanis Varoufakis livre un récit détaillé et haletant de son bras de fer avec la troïka. Et de l’aveugle intransigeance des créanciers de la Grèce.

Olivier Doubre  • 18 octobre 2017 abonné·es
Varoufakis : Chronique d’une défaite
© photo : CARSTEN KOALL/GETTY IMAGES/AFP

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’Angleterre, en pleine expansion capitaliste, abolissait la prison pour dettes. La raison était que « sa cruauté n’avait jamais dissuadé personne d’accumuler de nouvelles créances douteuses, ni aidé les créanciers à récupérer leur argent. Au XIXe siècle, pour que le capitalisme se déploie, il a fallu que l’idée absurde que toute dette est sacrée soit abandonnée ». Se remémorant l’attitude de l’Union européenne, du FMI et des ministres de l’Eurozone, et affirmant que la Grèce allait être « condamnée à la prison pour dettes » pour un temps quasi infini, Yanis Varoufakis pose alors la question : « Est-ce parce que l’UE et le FMI ne comprenaient pas ce qu’ils faisaient ? Non. Ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. […] Comment est-ce que je sais qu’ils savaient ? Parce qu’ils me l’ont dit. »

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Sur plus de cinq cents pages brûlantes, Yanis Varoufakis raconte ses cent soixante-deux jours au ministère des Finances grec. Cent soixante-deux jours de refus de signer les plans absurdes censés « renflouer » ou, mieux, « sauver » (sic) la Grèce, comme les créanciers ne vont cesser de le répéter. Alors que ces derniers savent pertinemment que ces plans seront inefficaces et, au contraire, enfermeront son pays dans une prison pour dettes mortifère. Le livre, qui devrait bientôt être adapté à l’écran par Costa-Gavras, fourmille d’anecdotes toutes plus hallucinantes les unes que les autres, entre réunions à huis clos (parfois enregistrées secrètement par l’auteur) et conversations de couloir totalement à l’opposé.

Explicitant la logique de ce qu’il appelle le « Renflouistan », Yanis Varoufakis revient aussi sur les cinq ans qui ont précédé sa nomination, alors qu’il combattait déjà (en tant qu’économiste) ces mesures absurdes où l’on prête de l’argent à un pays en faillite en exigeant des décisions qui le mettent à genoux. Sachant que le remboursement sera impossible et que seuls de nouveaux prêts permettront de rembourser les précédents. Dès 2010, en effet, les grandes banques françaises et allemandes sont mises en danger par les prêts toxiques qui ont entraîné ladite crise des subprimes, ainsi que par ceux accordés de manière éhontée et sans retenue à la Grèce. Ce sont d’abord ces banques qui sont en situation de faillite potentielle, ce qui va entraîner les premiers mémorandums acceptés docilement par les gouvernements grecs du Pasok et de droite, avant l’arrivée au pouvoir de Syriza. L’UE et le FMI se sont dès lors engagés dans une logique sans retour.

Christine Lagarde confiera ainsi – en tête-à-tête – à Yanis Varoufakis, début février 2015 : « Vous avez raison, Yanis. Les objectifs sur lesquels ils insistent ne peuvent pas fonctionner. Mais comprenez bien que nous avons trop investi dans ce plan. Nous ne pouvons pas reculer. » Un aveu qui est, en quelque sorte, le pendant de la fameuse déclaration de l’ultra intransigeant ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble : « Des élections ne sauraient changer une politique économique. » Ou de celle de Jean-Claude Juncker, en 2010, lorsque les banques et les responsables politiques vont maquiller les comptes publics grecs et initier la série des mémorandums : « Quand les choses deviennent sérieuses, il faut mentir. » Par sa volonté de témoigner sans détour, Yanis Varoufakis livre aujourd’hui un document précieux. Et historique.

Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe, Yanis Varoufakis, traduit de l’anglais par Cécile Dutheil de la Rochère et Abel Gerschenfeld, éd. Les Liens qui libèrent, 528 p., 26 euros.

Monde
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