Le plan B de sortie de l’UE, cœur du programme de la France insoumise

À quelques jours de la convention de la France insoumise, la question capitale du plan B fait l’objet de nombreux débats, qu’il faut absolument mener à bien si l’on veut comprendre les blocages programmatiques et stratégiques de la gauche.

Ramzi Kebaili  • 21 novembre 2017
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Le plan B de sortie de l’UE, cœur du programme de la France insoumise
Photo : Jean-Luc Mélenchon au premier sommet du plan B, le 24 janvier 2016 à Paris.
© Michel Soudais

Lors de la dernière élection présidentielle, c’est la divergence sur la question de l’Union européenne qui a rendu impossible toute alliance programmatique entre les candidatures de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon. Celui-ci a en effet catégoriquement refusé d’envisager la possibilité d’un « plan B » de sortie de l’Union européenne et de l’euro, qui constitue dans le programme de la France insoumise une option assumée en cas d’échec du « plan A » de renégociation des traités de l’UE. Et nombre de commentateurs qui ont qualifié de « sectaire » la stratégie électorale de la France insoumise ont oublié de préciser que toute alliance avec d’autres formations politiques aurait signifié renoncer à la stratégie plan A / plan B qui est pourtant la clé de voûte de tout le programme « L’Avenir en commun ».

La centralité de la question de l’UE

Ramzi Kebaili est animateur du collectif Citoyens souverains et militant de la France insoumise.

Ce point crucial a parfois été occulté pendant la campagne. Pourtant, à présent qu’une longue séquence s’ouvre sans échéance électorale, il est nécessaire de prendre à bras le corps ce débat et d’expliquer en quoi l’existence de ce plan B, et l’affirmation de sa nécessité pour pouvoir mettre fin à l’austérité, constitue une rupture historique dans le champ politique de la gauche en France.

Rappelons tout d’abord que stricto sensu, l’Union européenne n’est rien d’autre qu’un ensemble de traités, et notamment une zone de libre-échange qui organise et systématise la mise en concurrence des travailleurs et des systèmes sociaux, la privatisation des services publics, la libre-circulation des capitaux et des marchandises, la soumission de la politique étrangère aux États-Unis ou à l’Otan ou encore l’obligation pour les États membres de s’endetter auprès des marchés financiers.

Pourtant pendant des décennies, la conviction intime que ces traités pourraient un jour permettre d’accoucher d’une « Europe sociale » a joué le rôle de mythe pour la quasi-totalité du camp progressiste. Qu’elle soit « radicale » ou « modérée », écologiste ou productiviste, qu’elle ait approuvé le Traité constitutionnel européen ou bien qu’elle s’y soit opposée, la gauche a cru dans le rêve européen et a longtemps assimilé la sortie de l’UE à un « repli national » qui favoriserait les idées d’extrême droite.

Or, depuis quelques années, a fortiori depuis l’échec du gouvernement d’Alexis Tsipras à refuser les politiques d’austérité imposées par l’Union européenne, un autre récit s’est fait entendre : et s’il était tout simplement impossible de mener une politique alternative dans le cadre de l’UE, et si celle-ci avait précisément été constituée dans le but d’imposer l’austérité aux peuples européens ? Et si les premiers responsables de la montée de l’extrême droite partout en Europe étaient en réalité les partisans de « l’UE à tout prix », y compris au prix de l’austérité et de la casse sociale?

Cet autre récit s’est fait entendre dans les travaux préparatoires à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, qui ont abouti à la proposition d’envisager clairement le cas de figure d’une sortie de l’UE, en le soumettant à référendum. L’argument paraît en effet de bon sens : si l’on prétend gouverner et respecter ses promesses de campagne, il faut être prêts à faire face tous les cas possibles, et il est donc indispensable de préparer le scénario où l’on serait contraints de quitter l’UE pour pouvoir appliquer son programme. Y compris si ce n’est pas notre issue privilégiée.

La stratégie plan A / plan B

Très clairement, une victoire électorale de la France insoumise signifierait alors un rejet par le peuple français du contenu des traités actuels de l’UE – qui, rappelons-le, ont été imposés sans nous consulter en 2008 alors que nous avions majoritairement voté Non en 2005. Pour respecter ce mandat, le plan A consiste en une proposition de réécriture totale des traités de l’Union européenne, afin de privilégier des politiques écologiques et sociales, et de respecter la souveraineté des peuples européens. Or il faut bien comprendre que, selon la France insoumise, un gouvernement français ne sera crédible pour réclamer une telle réforme que s’il se montre prêt à sortir en cas de refus, et à appliquer ses propositions avec tous les pays européens qui le souhaiteraient. Ainsi, en l’absence de la menace du plan B, le plan A est jugé impossible à mettre en œuvre compte tenu des rapports de force défavorables à l’échelle européenne.

L’unanimité étant requise pour modifier les traités de l’Union européenne, en cas de refus ne serait-ce que d’un seul État, il faudra bien d’abord sortir de cet édifice institutionnel si l’on veut pouvoir ensuite en proposer un nouveau. Concrètement, cette sortie ne signifie nullement que la France se retrouverait du jour au lendemain coupée du reste du monde. Cela signifierait simplement retrouver les marges de manœuvre démocratiques pour appliquer le programme choisi par les électeurs : sauvetage de nos services publics, protectionnisme écologique et social aux frontières du pays, réquisition de la Banque de France pour reprendre le contrôle de notre monnaie et financer nos programmes sociaux… Le contenu précis de ce plan B fait encore l’objet de travaux et de débats au sein de la France insoumise, par exemple de la part du collectif Citoyens Souverains qui s’est regroupé pour rédiger une proposition de plan B.

Dans tous les cas de figure, l’activation du plan B devra être validée par un référendum à la fois pour s’assurer un soutien populaire massif et pour légitimer de possibles entorses à nos lois et notre constitution actuelles, qui intègrent plusieurs dispositifs de l’Union européenne. Il sera donc crucial de convaincre le plus de monde possible de la nécessité du plan B, ce pour quoi l’existence du plan A joue un rôle pédagogique afin de prouver qu’une sortie de l’UE ne sera envisagée qu’en cas d’absolue nécessité.

Une fois sortie de l’UE, la France pourra proposer de nouvelles alliances aux autres pays européens et au monde entier, sur des bases solidaires et coopératives. En faisant ces propositions, il faut d’ailleurs garder à l’esprit que la France ne sera crédible que si elle commence par montrer l’exemple en mettant elle-même fin aux relations de domination qu’elle entretient avec ses anciennes colonies. Et notamment en mettant fin au franc CFA, actuellement arrimé à l’euro, ce qui détruit les économies des pays concernés.

Des débats à mener

Une fois cette stratégie clairement explicitée, des débats persistent et sont d’ailleurs loin d’être tranchés au sein de la France insoumise : le plan B ne serait-il rien d’autre qu’une menace qui obligera les autres pays européens à prendre le plan A au sérieux et à permettre une refonte de l’UE ? Ou bien a contrario, le plan A n’est-il qu’un artifice pédagogique pour convaincre une opinion récalcitrante de la nécessité du plan B ?

Plutôt que de rester confinés à l’intérieur des appareils politiques, il est crucial que ces débats soient posés sur la place publique et soumis à la discussion la plus large possible. Évidemment, la France insoumise a une réponse toute prête pour éviter que ces débats la déchirent de manière irrémédiable : au fond, du moment que les plans A et B sont préparés, il n’est pas indispensable de se déterminer à l’avance pour savoir lequel sera réellement mis en œuvre ; nous verrons bien une fois au pouvoir et, en cas de doute, le peuple sera consulté par référendum pour trancher démocratiquement.

Mais une question encore plus profonde demeure : même en dehors du cadre de l’UE, voulons-nous réellement d’une autre structure institutionnelle à l’échelle européenne ? Beaucoup, y compris chez les partisans les plus fervents du plan B, ont tendance à considérer la menace d’un « repli national » comme un repoussoir absolu pour les militants progressistes. Pourtant, si l’on veut bien aborder la question sans caricature, on peut se demander en quoi l’échelon continental européen serait fondamentalement meilleur que celui d’un pays donné ? Et si nous voulons nouer des alliances internationales, en quoi devrions-nous privilégier les pays européens par rapport à ceux du bassin méditerranéen, par exemple? L’essentiel n’est-il pas d’appliquer une politique de progrès humain à tout échelon où les gens l’auront décidé ?

Et il est fort possible que les autres peuples ne souhaitent pas une nouvelle structure supra-nationale proposée par un gouvernement français quel qu’il soit, voire qu’ils la considèrent comme une forme d’ingérence dans leurs affaires intérieures. C’est donc bien par internationalisme qu’il faut savoir rester humbles dans nos ambitions, et accepter le cas où la seule chose qui nous soit demandé par les autres peuples ne soit pas que la France prenne la tête d’une « autre Europe sociale et écologique » mais simplement de les laisser vivre en paix, et de coopérer dans le respect de nos souverainetés respectives.

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