Pillage des ressources et néocolonialisme : saignées de l’or noir

L’exploitation des richesses des « pays en développement » par les multinationales occidentales maintient ces pays dans une situation économique et sociale désastreuse, développe Jérôme Duval, du CADTM, dans cette tribune.

Jérôme Duval  • 6 décembre 2017
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Pillage des ressources et néocolonialisme : saignées de l’or noir
© photo : PIUS UTOMI EKPEI / AFP

Finalement, les pays dits « en voie de développement » (PED) d’aujourd’hui remplacent les colonies d’hier : les grandes entreprises multinationales occidentales se placent dans les anciennes colonies, y investissent et en extorquent les ressources pour accumuler de faramineux profits qui s’évadent dans des paradis fiscaux appropriés. Tout cela se déroule sous le regard bienveillant des élites locales corrompues, avec l’appui des gouvernements du Nord et des institutions financières internationales (IFI) qui exigent le remboursement de dettes odieuses héritées de la colonisation. Par le levier de la dette et des politiques néocapitalistes imposées qui conditionnent celle-ci, les populations spoliées paient encore le crime colonial d’hier et les élites le perpétuent subrepticement aujourd’hui, c’est ce qu’il est convenu d’appeler le néocolonialisme.

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Les matières premières transformées… et revendues au pays producteur

En Afrique, le pillage des matières premières se poursuit et, comme aux temps des colonies, la transformation s’opère au Nord, avant que le produit ne revienne, éventuellement transformé, dans le pays producteur de la matière première. Ce dernier perdant donc au passage les gains de la plus-value obtenue par la transformation.

Quant au pétrole brut extrait d’Afrique, il est majoritairement destiné à l’exportation, quitte à revenir, raffiné, depuis le pays importateur. Sur la quarantaine de raffineries présentes en Afrique, beaucoup pâtissent d’un manque d’investissement et de maintenance, sont sujettes à des privatisations rampantes et n’arrivent pas à satisfaire la demande régionale. Résultat, le continent reste dépendant de l’importation de produits raffinés pour sa propre consommation.

Trois des quatre raffineries du Nigeria ont été réactivées en juillet 2015, mais ne fonctionnent qu’à 60 % à 80 % de leurs capacités (jusqu’à 210 000 barils/jour). Incité à la dépendance de la ressource pétrolière par les institutions financières internationales (Banque mondiale en tête), le Nigeria tire 70 % de ses revenus et environ 90 % de ses ressources en devises des exportations de brut. Seulement 10 % de sa production est raffinée dans le pays.

Ainsi, le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent et onzième mondial, n’arrive pas à satisfaire son marché intérieur et, comble du paradoxe, importe 70 % de ses besoins en pétrole raffiné malgré une production journalière d’environ deux millions de barils de pétrole brut dont la majeure partie part à l’exportation vers les États-Unis et l’Europe ! Pour satisfaire sa demande intérieure, le Nigeria importe quotidiennement des millions de dollars de carburant (pétrole raffiné), représentant près de 14,9 milliards de dollars sur l’année 2016, une somme colossale [1].

Le Nigeria, un des pays les plus inégalitaires au monde

Lorsqu’on commença à extraire des quantités significatives de pétrole au Nigeria dans les années 1960, des dirigeants de Shell passaient dans les villages et projetaient un film d’entreprise vantant aux habitants la prospérité qu’allait leur apporter le pétrole [2]. Pourtant, les habitants du delta du Niger, d’où provient la grande majorité de cette ressource tant convoitée, se sont appauvris et ont vu leurs terres et leurs eaux polluées par cette industrie.

Malgré une croissance positive jusqu’en 2016 (+ 2,7 % en 2015, son plus bas niveau depuis dix ans, en raison de la chute des prix du pétrole), 22 milliardaires et 34 000 millionnaires en dollars recensés, plus de la moitié de la population vit avec moins de 1 dollar par jour, la majorité des Nigérians n’ont pas accès à l’électricité, l’espérance de vie ne dépasse pas les 54 ans [3] et un enfant sur dix meurt avant l’âge de 5 ans encore aujourd’hui, l’un des taux les plus élevés au monde [4].

De plus, le Nigeria subit les affres de la pollution et de son corollaire, le réchauffement climatique. Pourtant, un habitant du Nigeria émet en moyenne dix fois moins de gaz à effet de serre qu’un habitant de la France, et 34 fois moins qu’un habitant des États-Unis, le plus gros pollueur de la planète [5].

En plus de se faire piller leurs matières premières, les populations des pays producteurs payent la plus-value des produits transformés au Nord par les multinationales occidentales. Ce mécanisme grève les caisses des États qui, pour ne pas trop amputer dans leurs budgets, doivent s’endetter toujours plus. Les créanciers sont, dans ce système dette à leur mesure, encore une fois les gagnants d’une partie de poker dangereuse et mortifère.

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[1] « En 2016, le Nigéria a dépensé 14,9 milliards de dollars en importation de pétrole raffiné », Agence Ecofin, 9 juin 2017.

[2] Peter Mass, Pétrole brut, enquête mondiale sur une richesse destructrice, ed. Autrement, 2010.

[3] Direction du Trésor, « Nigeria ».

[4] Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est de 109 pour 1000 en 2015, l’un des plus élevés au monde après la République centrafricaine, la Somalie, le Tchad et la Sierra Leone. Selon l’ONU, 6,9 millions d’enfants de moins de 5 ans sont morts dans le monde en 2011, principalement à cause de maladies évitables.

[5] Christophe Bonneuil, François Gemenne, Geneviève Azam, Jean Jouzel, Maxime Combes, Nicolas Haeringer, Stefan Aykut, Valérie Cabannes : « Climat : Nicolas Sarkozy, dangereux marchand de doute ». Tribune publiée dans _Libération le 16 septembre 2016.

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