Macron ferme la porte à la plupart des revendications des nationalistes corses

Très attendue après la nette victoire nationaliste aux élections territoriales de décembre dernier, l’allocution présidentielle à Bastia s’est retranchée sur les principes traditionnels de la République jacobine. En dépit de quelques ouvertures mineures.

Olivier Doubre  • 8 février 2018 abonné·es
Macron ferme la porte à la plupart des revendications des nationalistes corses
© photo : Ludovic MARIN / POOL / AFP

L’après-midi bastiais du président de la République, mercredi, avait commencé par un signe de défiance entre nationalistes et autorités de la République. Après la rencontre de deux heures, mardi soir, entre Emmanuel Macron et les deux présidents de la nouvelle Collectivité territoriale unique (CTU), l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, et Gilles Simeoni, en charge de l’exécutif de la Collectivité, les élus nationalistes ont tout bonnement boycotté le déjeuner avec le président de la République à Bastia. L’atmosphère ne s’est pas réchauffée après le discours d’Emmanuel Macron sur l’avenir de la Corse, sensé répondre aux principales revendications des nationalistes, vainqueurs des élections territoriales de décembre.

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Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni ont en effet refusé de répondre aux journalistes à l’issue de l’allocution présidentielle, avant de se réunir entre « natios » élus. Quelques chroniqueurs présents dans la salle relevaient néanmoins que Jean-Guy Talamoni s’était abstenu d’applaudir à la fin du discours du locataire de l’Élysée…

Après l’importante manifestation nationaliste le 3 février à Ajaccio, trois jours avant la venue du président pour commémorer le vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet Érignac, Emmanuel Macron a pris la parole avec quelques minutes de retard, vers 15h40, au centre culturel « Alb’Oru » de Bastia. Dans un décor qui annonçait en quelque sorte la teneur de « sa vision » pour l’île de Beauté « au sein de la République » : un classique pupitre aux couleurs tricolores, et cinq paires de drapeaux français et européens derrière lui – sans une seule bandiere à tête de Maure.

Si le Président a voulu paraître conciliant, il a surtout, en dépit de son discours à Furiani lors de sa campagne présidentielle qui avait laissé quelques espoirs sur la « question corse » aux nationalistes, et de sa profession de foi en faveur d’un « pacte girondin » exprimée en juillet dernier, fermé la porte aux principales revendications des « natios ».

Niet à la co-officialité de la langue corse : s’il défend le concept de bilinguisme, celui-ci « n’est pas la co-officialité car dans la République, il y a une langue officielle, le français, premier sédiment de la nation française ». Et d’ajouter qu’il n’accepterait « jamais de réserver à celui qui parle corse tel ou tel emploi », refusant là le principe d’une préférence régionale pour les embauches.

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Enfin, s’il salue le fait que le corse est la langue régionale « la plus soutenue dans la République » (et enseignée à 98 % des élèves des écoles primaires corses) et que la première session de l’agrégation de corse sera organisée cette année, Emmanuel Macron demande une évaluation de l’efficacité de l’investissement en ce sens de 9 millions d’euros par an.

Niet également au fameux statut de résident, que les nationalistes réclament afin de lutter contre la spéculation immobilière et limiter ainsi l’accès de la propriété foncière aux résidents en Corse depuis au moins cinq ans (avec, certes, une ambiguïté maintenue pour les Corses de la diaspora).

Enfin, le Niet ne souffre aucune contestation en matière d’amnistie des prisonniers « politiques », la question de leur incarcération dans l’île (pourtant prévue par la loi) n’étant même pas abordée.

Seule (petite) surprise dans le camp nationaliste insulaire, sur la question d’une révision de la Constitution où serait inscrite la spécificité de la Corse dans la loi fondamentale, Emmanuel Macron n’a pas totalement fermé la porte. Notamment parce qu’il dit « avoir entendu la demande d’autonomie de la Corse dans la République » qui s’est exprimée lors des élections territoriales de décembre dernier, et admet donc « le souhait de voir la Corse mentionnée dans la Constitution ». Mais il s’y dit favorable en tant qu’affirmation d’un « ancrage fort de l’île dans la République » ! Cette mention sera donc inscrite dans le futur projet de réforme constitutionnelle soumis au Congrès au printemps prochain. Cette (petite) avancée en direction des nationalistes prendra toutefois la forme d’une révision de l’article 72 qui organise les rapports avec les collectivités locales et non – comme l’espérait les élus du nouvel exécutif d’Ajaccio – celle de l’article 74 qui régit les « collectivités d’outre-mer », plus autonomes que les autres entités locales « au sein de la République »

La déception dans le camp nationaliste est donc grande, Gilles Simeoni rappelant, quelques heures après le discours, qu’une occasion importante a sans doute été manquée, alors que la question corse s’exprime désormais dans la paix. Le président de la CTU craint peut-être de voir certaines impatiences dans le camp nationaliste se tendre parmi les plus radicaux. Car le risque demeure. Il n’en reste pas moins qu’Emmanuel Macron a demandé aux élus corses de lui faire, dans un délai d’un mois, des propositions quant au contenu précis de la révision constitutionnelle qu’il autorise. Mais le président ne continue de ne voir la Corse que rigidement soumise aux principes du cadre institutionnel hexagonal. Ce qui ne suffira peut-être pas à toutes les tendances du camp nationaliste. Toutefois, le président de la République veut croire (et cela a plu à la droite corse) que, « pour la Corse, et notamment pour sa jeunesse, faire partie intégrante de la cinquième puissance économique mondiale est un atout inestimable »

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