Manifestation contre la loi sur l’asile : « Personne n’est illégal »

Le 21 février, jour de la présentation du projet de loi migrations au Conseil des ministres, associations, militants et citoyens ont marché unis pour réclamer une autre politique d’accueil.

Malika Butzbach  • 22 février 2018 abonné·es
Manifestation contre la loi sur l’asile : « Personne n’est illégal »
© photo : Olivier Donnars / NurPhoto

Ce mercredi soir, les rues du Quartier latin sont noires de monde. « Ça change de Bastille-Nation ! », rigole Julien. Âgé de 24 ans, le jeune homme brandit une pancarte « Personne n’est illégal ». À côté de lui, son amie porte un message un peu différent : « Personne naît illégal ». Ils font partie des nombreux manifestants qui ont répondu à l’appel du Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (Baam). Ils sont entre 1 000 et 2 000 et fustigent la loi dite « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ».

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Tous unis contre le texte

Les drapeaux sont aussi nombreux et multiples que la foule est hétéroclite. À côté des élus en écharpe, les travailleurs sans papiers chantent en musique. Il y a de nombreuses associations, d’Attac au collectif de soutien des migrants qui occupe l’université Paris 8, d’Acceptess-T (qui défend les droits des personnes transsexuelles) à Aides.

« Il est fort Macron, il a réussi à tous nous mettre d’accord sur un texte, grince Héloïse Mary, présidente du Baam. Mais, du coup, cela signifie que l’on a atteint à un stade de presque non-retour dans les politiques migratoires. » La jeune femme fustige le texte « liberticide » qui a été présenté ce matin par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, en Conseil des ministres. « C’est la pire loi que l’on ait eue depuis Pasqua. Pasqua avait ses charters, Macron a ses déportations. »

© Politis

Diminution des délais : travail bâclé

À 18h30, heure du rendez-vous, la place Saint-Michel est déjà pleine de monde. Avant de se mettre en route vers l’Assemblée nationale, des militants montent sur la fontaine et s’époumonent : « Solidarité avec les migrants du monde entier ! ».

Carole, assistante sociale, est venue après son travail. Elle déplore un texte qui va accentuer le « parcours tortueux qu’est la demande d’asile ». « Ils veulent diminuer le temps dont on a besoin pour bien préparer une demande d’asile. En si peu de temps, comment trouver un traducteur pour aider la personne à écrire son récit ? » Le texte prévoit de diminuer les délais de traitement pour les demandes d’asile : alors que l’instruction prend onze mois actuellement, le gouvernement vise une limite de six mois.

Flora et Marie, rapporteures à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) sont venues elles aussi. Elles avaient déjà manifesté plus tôt dans la journée devant le Conseil d’État (voir tweet ci-dessous). « Après tout, on est concernées. Ce sont nos conditions de travail que la loi va impacter. » Les deux jeunes femmes et leur collègues sont en grève depuis 9 jours.

Le texte entre dans une logique comptable mais du coup, cela touche la qualité des dossiers et des décisions rendues. Il y a de plus en plus de décisions rendues par ordonnances, c’est-à-dire sans audiences, ou de décisions prises par un juge unique. Et tout ça pour aller plus vite !

« La rétention, c’est la prison »

Alors que le cortège se met en marche, Ali* et Maria commencent à danser au son des djembés. Celle-ci est venue d’Espagne à 10 ans, ses parents ont fui la dictature de Franco. « La France, pays des droits de l’homme, j’y ai cru, moi ! Et je voudrais y croire encore. Pour cela, je me battrai contre cet horrible texte. La France peut accueillir, mon histoire le prouve ! » Ali, lui, est arrivé il y a quelques mois, un an après avoir quitté la Côte d’Ivoire. Ému devant l’importance de la foule, il cherche ses mots : « J’avais fini par croire que les Français n’aimaient pas les étrangers. Mais je me suis trompé. »

De nombreux citoyens sans drapeau ni pancartes sont dans la rue. Une première pour Élise. En master droits de l’homme à l’université de Paris X-Nanterre, l’étudiante ne pouvait pas rester chez elle. « C’est scandaleux. Le texte criminalise un peu plus les migrants : il crée une garde à vue spécifique appelée « retenue administrative » et augmente la durée de rétention dans les CRA à 135 jours maximum. Cette rétention, on l’assimile à autre chose mais c’est de la prison ! »_

« Quand tu passes par la Libye, tu t’en fiches de galérer en France »

La foule arrive finalement place du Président-Édouard-Herriot, à deux pas de l’Assemblée nationale. Les cris redoublent d’intensité. « Cette loi est inutile ! », crie Babacar*. Le jeune Saoudien vient d’obtenir le droit d’asile après dix mois « d’ennuis » : « Le gouvernement est persuadé qu’il faut dissuader les migrants de venir. Quand tu passes par la Libye, tu t’en fiches de galérer en France ! » Conscients de ces réalités, les associations et militants réclament une véritable politique d’accueil. « Il y a une anecdote qui m’a marquée, raconte Héloïse Mary du Baam. Un jeune homme qui se tenait devant les policiers en leur disant: « Vous savez, moi, je n’ai pas parcouru 6 000 kilomètres pour avoir des toilettes. » Tout est dit. »

[*] Le prénom a été modifié.

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