Panne de services en Mayenne

La santé, la poste, les impôts, l’école, la préfecture… Autant de secteurs qui manquent tragiquement de personnel public dans ce département rural. Un collectif militant se mobilise.

Olivier Doubre  • 21 mars 2018 abonné·es
Panne de services en Mayenne
Une consultation à distance : un maigre palliatif à la désertification médicale.
© Sebastien Bozon/AFP

Sur la route qui mène de Laval à Rennes, une banderole dont l’inscription a été en partie effacée par la pluie borde la chaussée depuis plus de trois ans : « On recherche des médecins. » Le département rural qu’est la Mayenne, avec ses nombreuses fermes isolées, peine à attirer des praticiens, notamment des spécialistes. La pénurie frappe particulièrement les hôpitaux publics, tandis que les généralistes installés dans les petites communes partent à la retraite sans être remplacés. On compterait ainsi plusieurs milliers de patients sans médecin traitant dans le département, d’autant que ceux qui exercent encore refusent de prendre de nouveaux malades.

« Le centre hospitalier de Laval a fermé plus d’une centaine de lits ces quatre ou cinq dernières années. Cela s’explique par les directives de l’agence régionale de santé (ARS) encourageant tous les établissements à transformer des lits en soins ambulatoires, car cela revient moins cher. Mais c’est loin d’être une solution généralisable à toutes les pathologies », soupire Catherine Romagné, ancienne cadre de santé à l’hôpital de Laval, à la retraite depuis peu et longtemps déléguée CGT. Membre du Collectif départemental de défense et de développement des services publics (CDDSP) [1], elle dénonce le système de l’offre et de la demande qui domine en matière de recrutement de praticiens. « À l’hôpital, se multiplient les services où, si l’on veut un rendez-vous rapidement, la carte Vitale ne suffit plus, alors les patients se rendent à des consultations privées dans les locaux du centre hospitalier. On l’accepte pour éviter que les praticiens ne s’en aillent, et ils doivent simplement reverser 20 % de leurs gains à l’hôpital pour les frais. »

Si la Mayenne tente de répondre à la pénurie de médecins en créant des maisons de santé, en particulier dans les communes secondaires, celles-ci ne parviennent pas à répondre à toutes les demandes. « De plus en plus de personnes sans moyens sont obligées de se saigner pour être soignées, s’insurge Catherine Romagné, puisque l’ARS encourage sans le dire les patients à aller vers le privé. Ce sont en effet les cliniques privées qui vont se développer pour répondre aux besoins, puisqu’on assiste à de nombreux départs de spécialistes vers ces structures, renforçant encore la pénurie de praticiens dans l’hôpital public. » Un hôpital où le service des urgences est sans cesse débordé puisque, prévu pour 90 passages journaliers, il connaît une fréquentation moyenne de plus de 140 patients. Une problématique particulièrement inquiétante pour la population, qui a incité le CDDSP à organiser un débat, il y a quelques semaines, sur la désertification médicale en milieu rural.

Pour répondre à cette situation dramatique, l’un des animateurs du collectif, Jacques Poirier (membre au nom de la FSU), insiste sur la nécessité d’interdire aux nouveaux médecins de s’installer dans les zones les mieux dotées en praticiens, telles la région parisienne ou la Côte d’Azur. Catherine Romagné, pour sa part, salue la proposition de loi déposée par le député socialiste Guillaume Garot, lequel voulait déconventionnaliser les nouveaux médecins qui s’installent dans les zones surdotées. Elle regrette que la majorité LREM ne l’ait pas retenue, alors que les médecins n’ont aucun compte à rendre par rapport aux territoires. « Il existe certes des primes à l’installation dans les secteurs désertés, mais c’est encore la Sécu qui paye », rappelle-t-elle.

Par ailleurs, le CDDSP souligne que, si la question de l’offre de santé publique est particulièrement préoccupante en Mayenne, le département pâtit plus généralement d’un recul des services publics, tous secteurs confondus. Le Collectif mène ainsi plusieurs combats contre la fermeture de bureaux de poste. « C’est toujours la même tactique : la Poste commence par réduire les horaires d’ouverture pour ensuite dire que la fréquentation a diminué et fermer à terme un bureau. Nombreux sont ceux qui sont menacés dans le département, comme celui du quartier de Bazouges, dans la commune de Château-Gontier, qui n’aurait plus qu’un bureau en centre-ville », prévient Jacques Poirier.

Le problème est la même dans le secteur des finances publiques, où les centres des impôts et les lieux d’accueil du public sont en nette diminution, après une réduction des horaires d’ouverture et un grand nombre de départs en retraite non remplacés. « Contrairement à ce que voudrait Bercy, tout le monde ne peut pas intervenir par Internet. Et les personnes qui n’y arrivent pas ne trouvent plus de fonctionnaires pour les aider à remplir leur déclaration d’impôts. La Poste propose ce service, mais pour la “modique” somme de 50 euros pour une déclaration. »

De la même manière, la préfecture de Laval a récemment supprimé son service des cartes grises, la demande devant être faite sur le Web. « Le privé se frotte les mains : il y a maintenant des sociétés, à Laval, qui prennent en charge les demandes de carte grise pour 80 euros ! », déplore Catherine Romagné.

Le département souffre aussi des fermetures de classes dans les écoles, comme presque partout en zone rurale. Plusieurs sont menacées de disparaître et on assiste, selon Jacques Poirier, à une « véritable malhonnêteté gouvernementale : le passage à 12 élèves par classe en CP et en CE1 s’est fait sans un nombre suffisant de créations de postes. Conséquence de cette incurie : des fermetures de classes et, à partir du CE2, des effectifs de 28 ou 29 élèves, y compris en zones d’éducation prioritaire ». De fait, Le Monde du 15 mars dénombrait 207 fermetures de classes dans 47 départements ruraux cette année, la Mayenne n’y échappant pas.

Le CDDSP dénonce enfin le manque de fonctionnaires dans les services vétérinaires et les inspections sanitaires à Laval, ville où est situé le siège du groupe Lactalis, après le scandale des salmonelles dans les laits infantiles. « Ainsi, par manque d’agents publics, ce sont les mêmes qui produisent et contrôlent les produits, dénonce Catherine Romagné. Or, en Mayenne, Lactalis emploie plus de 3 000 personnes. Tout le monde connaît quelqu’un qui travaille dans cette entreprise, alors le silence est général dans la région. C’est toujours la même logique : on fait dysfonctionner le service public pour expliquer ensuite qu’il faut déléguer au privé, avec parfois des conséquences dramatiques. Et il en va de même avec le rapport Spinetta sur la SNCF… »

[1] Le CDDSP regroupe des citoyens mayennais, des syndicats comme Solidaires (Santé, Finances, Éducation), la CGT (Poste, Hôpitaux, Retraités, Territoriaux), la FSU, l’association Attac et des partis politiques (PG, PCF et EELV).

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