Procès de Tarnac – Jour 11

Comment les plaidoiries des parties civiles et le réquisitoire du Parquet glissent de la répression de violences pendant des mouvements sociaux à une accusation de « terrorisme contre des biens ».

Ingrid Merckx  • 28 mars 2018 abonné·es
Procès de Tarnac – Jour 11
© photo : ALAIN JOCARD / AFP

Jean Veil a choisi une stratégie assez particulière. Le fils de Simone Veil, ténor du barreau de Paris et conseil de la SNCF dans le procès de Tarnac, loue la patience des dames du tribunal face à « l’insolence et la grossièreté » des prévenus pendant ces trois semaines de procès, en même temps qu’il brocarde le temps passé par ce tribunal à « financer la défense ». Cette belle écoute pourrait ne pas plaire aux contribuables, conclut-il en emballant son compliment dans une vacherie. Ces contribuables qu’il défend en défendant la SNCF, « service public qui rend des services à toutes les personnes présentes dans cette salle, y compris à vous mesdames du tribunal », insiste-t-il pour faire baisser la « cote de sympathie » des prévenus.

À ces « enfants gatés » de Tarnac, il demande 59 601 euros de réparation, dans la salle d’audience : dont 15 000 euros de préjudice moral et 1 euro de préjudice symbolique s’ils sont condamnés pour association de malfaiteurs. La somme grimpe à 74 601 euros pendant la suspension d’audience. Se serait-il emmêlé dans les chiffres ? Les enchères montent sur le banc de la presse. En fait, c’est 15 000 euros de préjudice moral, mais chacun.

Guy Béart, Rouletabille et L’insurrection…

Son confrère Me Dupont-Jubien, autre conseil de la SNCF plaidant en premier avait évoqué les mots de Guy Béart, « celui qui dit la vérité doit être exécuté », pour justifier une plaidoirie depuis son banc : « Pour voir tout le monde : je vais dire des choses qui ne vont pas leur plaire, mais je n’ai pas peur de leur regard… » Puis Le Mystère de la chambre jaune pour expliquer où sont passés les tubes PVC achetés à Bricorama pour poser les fers à béton. Avant d’aller piocher dans L’Insurrection qui vient – donc une œuvre –, la justification du sabotage : « un minimum de temps, un maximum de dégâts ». Persuadé que les deux prévenus sont coupables des faits qui leurs sont reprochés, il s’est étonné de leur goût pour la voiture – dont ils ne sont sortis en dix heures que pour diner – de leur volonté de se cacher – pour un « câlin » ou pour échapper à la police ? – et du fait que Julien Coupat ait mis deux ans à évoquer le retrait par carte bleue à Pigalle à 2h44 : « Alors même que cela pouvait disculper la femme avec qui il venait de nouer une relation »

« Ce ne sont pas les membres d’une association de pêcheurs à la ligne ou de joueurs de boules qui ont été vus sur les voies mais des jeunes gens insolents, intelligents, drôles, qui vont au bout de leurs idées. Pourquoi ne pas revendiquer les actions qu’ils mènent ? », a fait mine de s’offusquer Me Dupont-Jubien en considérant que la sympathie que Julien Coupat et Yildune Lévy ont su inspirer « ne les protége pas de la vérité ».

De la criminalisation des mouvements sociaux au terrorisme…

Du réquisitoire, assez brillant, du substitut du procureur Nicolas Renucci, émerge que, pour le Parquet, les accusations de refus de prélèvement ADN sont « graves » et que c’est le rôle du tribunal d’aider aux enquêtes de police qui ont besoin de ces relevés. Lesquels, précise-t-il quand même, sont conservés quarante ans pour des personnes « accusées », 25 ans pour des personnes « soupçonnées ». « Vols et tentative de falsification » tombe sur l’ex-couple Glibert-Becker, avec falsification pour Christophe Becker.

Surtout, Nicolas Renucci, naturel et implacable, fait, volontairement ou sans en mesurer complètement la portée, le lien brûlant entre les événements survenus pendant la manifestation de Vichy le 3 novembre 2008 et la surveillance du « groupe de Tarnac ». La préparation de violences pendant cette manifestation et les violences elles-mêmes – qu’il détaille longuement sans jamais évoquer le contexte du mouvement ni les opérations CRS – constituent une infraction pour association de malfaiteurs selon lui. Et marque la fin de l’enquête préliminaire. Ainsi, la répression de comportements pendant des mouvements sociaux vient comme justifier la surveillance de militants d’ultra-gauche. Et, s’il défend le droit de manifester pacifiquement lors d’une manifestation – « les manifestants pacifiques ont pu se sentir “trahis” par les agissements de monsieur Coupat et des autres » –, il fait sans hésiter le pont entre violences en manifestation et soupçons de terrorisme.

Pas de groupe de Tarnac mais un sabotage ?

« Le groupe de Tarnac n’existe pas », lâche le procureur Olivier Christen en prenant la parole. Un scoop, au bout de dix ans de procédure et trois semaines de procès. Mais surtout un élément de langage pour dire que, s’il n’y avait pas de groupes constitués, il y avait des gens qui se « connaissaient, se croisaient » . Et parmi ces gens, deux, Yildune Lévy et Julien Coupat, se sont rendus coupables des faits qui leur sont reprochés, cela ne fait aucun doute pour lui : « Yildune Lévy et Julien Coupat ne se sont jamais coincés dans leurs mensonges car ils racontent ce qu’ils ont vécu », estime-t-il dans un réquisitoire laborieux et sans surprise.

Les policiers n’ont pas menti, rien ne peut remettre en cause le PV 104 sur lequel repose en grande partie l’accusation. Sur la présence d’une balise sous la Mercedes de Julien Coupat et Yildune Lévy, Olivier Christen avance qu’il n’en sait rien mais s’étonne ensuite que le signal ait été perdu précisément pendant la tranche horaire où se seraient déroulés les faits. Il balaie la piste de la responsabilité d’écoactivistes allemands contre des trains Castor transportant des déchets nucléaires : « Ces actes-là sont revendiqués d’habitude. Et pourquoi arriveraient-ils d’Allemagne ? », bâcle-t-il sans croire à une équipe unique mais plutôt à « trois petites équipes » sur lesquelles il ne s’étend pas…

« Pourquoi vider le coffre d’une voiture où l’on va dormir ? Pourquoi une escapade amoureuse au Trilport, destination qui n’a rien de romantique ? Pourquoi évoquer un retrait carte bleue qui n’apparait nulle part au bout d’une nuit où tout a été payé en espèces ? Pourquoi acheter des cigarettes à Pigalle en rentrant du Trilport et non pas à Nation ? », poursuit Olivier Christen qui trouve Yildune Lévy très « floue » sur cette nuit là.

L’argument de la carte bleue marque, d’après lui, un basculement dans la stratégie de la défense : « Tout est faux jusqu’à 23h40, mais pour pas montrer qu’on a menti jusque là on fait tout en 1h20 pour arriver à Paris à 2h44»,continue-t-il en y voyant une « stratégie de panique ». Panique à vérifier, demain et vendredi, avec les plaidoiries de la défense.

Olivier Christen évoque alors un arrêt de la Cour de cassation de 2017 selon lequel l’infraction de terrorisme ne concerne pas que les actes contre les personnes mais aussi contre les biens. Et si les gens ne s’inscrivent pas dans une « entreprise installée », il faut démontrer leur volonté. « La Cour a cherché dans un contexte post-attentat, à trouver un équilibre entre ce qui relève du terrorisme et ce qui n’en relève pas », souligne-t-il. Mais que l’accusation de terrorisme ait été écartée dans le procès de Tarnac ne signifie pas, selon lui, qu’elle ait servi « d’artifice pour éviter un procès équitable ».

Au final, il réclame des peines qui vont de six mois d’emprisonnement avec sursis à quatre ans pour Julien Coupat dont quarante-deux mois avec sursis et des peines de 1 000 euros d’amende avec sursis.

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