Procès de Tarnac – Jour 3

L’avocat des prévenus et le procureur se provoquent au troisième jour d’audience consacré aux réquisitions téléphoniques et aux dégradations sur les caténaires.

Ingrid Merckx  • 15 mars 2018 abonné·es
Procès de Tarnac – Jour 3
Yildune Lévy à l'ouverture du « procès de Tarnac » le 15 mars.
© PATRICE PIERROT / CROWDSPARK

Crimes ou délits ? « C’est un crime !, s’énerve soudain maître Jérémie Assous au troisième jour du procès de Tarnac en interpellant le procureur. Sinon pourquoi l’auriez-vous fait incarcérer ? », crie-t-il presque en montrant Julien Coupat. « Ça a toujours été délictuel ! », riposte le procureur, un ton plus bas. L’accusation de terrorisme qui a plané sur les inculpés de Tarnac pendant neuf ans est tombée. L’affaire est jugée par un tribunal correctionnel. Pas en cour d’assises…

« Quatre fers à béton ont été posés cette nuit-là, si ça n’est pas une coïncidence, pourquoi n’avez-vous pas enquêté ? », jette maître Assous au procureur. Qui répond, plus doucement encore : « C’est ce que nous allons tenter d’établir… » Applaudissements côté public. « Le tribunal est un peu ému par cette passe d’armes », confie la présidente en mélangeant des télécommandes. Corinne Goetzmann est patiente, cordiale. Ne s’empêche pas de reprendre les prévenus Julien Coupat et Mathieu Burnel pour leur rappeler qu’on ne « bavarde pas quand son avocat plaide, cela empêche le tribunal de se concentrer… »

Mais elle n’interrompt les plaidoiries de Me Jérémie Assous que pour lui signaler que le procureur, qui s’est levé, « aimerait bien parler ». « La logorrhée de maître Assous va bien finir par se terminer… », siffle le procureur qui s’impatiente et choisit de ne pas relever quand Julien Coupat lui reproche sa « mauvaise foi ». Les deux se provoquent depuis le début de l’audience. Motifs de leurs disputes : les réquisitions téléphoniques sur les « lieux du crime » qui n’ont pas été exploitées, soulève Me Assous estimant qu’à force d’« erreurs matérielles », on peut soupçonner soit de l’« incompétence » soit une volonté de « camoufler des données ». « C’est une zone blanche », défend le procureur Olivier Christen pour expliquer que Bouygues et Orange, n’aient pas fourni leurs données. Seul SFR.

Quand la présidente affiche la photo aérienne de la ligne de TGV qu’auraient dégradée Julien Coupat et Yildune Lévy, « on voit bien trois antennes relais donc trois opérateurs », commente Me Jérémie Assous. Le représentant de la SNCF se lève : « Ce sont des antennes SNCF. Fréquences spécifiques. Elles ne relèvent pas de données téléphoniques extérieures… ». Lesquelles pourraient témoigner de la présence non des prévenus, qui n’avaient pas de téléphone portables, mais des dix-huit policiers qui disent avoir été sur place cette nuit-là. Présence dont doute la défense…

Le fameux crochet

La présidente poursuit la description des dégradations dont celle reprochée à Julien Coupat et Yildune Lévy dans la nuit du 7 au 8 novembre. C’est un peu laborieux. On baille dans la salle. Mathieu Burnel se retourne vers Benjamin Rosoux qui, assis derrière lui au deuxième rang des prévenus, lui sourit sous sa fine moustache. Julien Coupat se penche vers Maître Assous assis à sa gauche. Il agite sa main droite en pinçant deux doigts. Il porte un pull sombre et des lunettes, comme Mathieu Burnel assis à sa droite. Me Jérémie Assous hoche la tête. Tous les trois ont des ordinateurs ouverts devant eux. L’un et l’autre de ces deux prévenus, moins impertinents que les deux premiers jours, se lèvent à tour de rôle pour apporter des précisions techniques, experts de leurs dossiers « un peu paranoïaques», reconnaît même Mathieu Burnel.

« On pourrait faire venir un expert des fadettes, propose la présidente, ni vous ni le tribunal n’avons les compétences… » « On pourrait demander à David Dufresne quand il va témoigner, propose Mathieu Burnel. Dans son livre, Tarnac, Magasin Général, il a interrogé un policier qui lui explique comment trafiquer des fadettes… »_

Les autres prévenus sont plus discrets. Sourient, ou parlent parfois entre voisins. Mais ils suivent les débats plus calmes, plus immobiles. Les faits qui leur sont reprochés : refus de prélèvements ADN et recel de papiers d’identités, n’ont pas encore été abordés.

Remous dans la salle quand la présidente sort « l’arme du crime », le crochet « fer à béton » qui a servi à endommager la ligne SNCF. « C’est lourd ! Et pas forcément très propre…, prévient-elle. Ce crochet ne pouvait entraîner de déraillement… Il ne nécessitait pas de complicité à la SNCF. »

Ce crochet, c’est aussi celui qui figure, dessiné, sur la couverture du deuxième numéro imprimé du journal en ligne Lundi matin et consacré aux archives de l’affaire de Tarnac. _« Pas d’empreintes, pas de traces ADN », continue la présidente qui fait tourner l’objet. « Touche ! », jette Mathieu Burnel à Julien Coupat en lui tendant le crochet par la partie non couverte par un plastique. Nouveaux rires dans la salle.

« Il a été fabriqué de façon astucieuse… ce crochet est parfait », commente l’expert, admiratif, qui a été introduit à l’audience. Applaudissements et rires dans la salle. « On peut s’électrocuter avec ce crochet mais si j’avais à le poser sur une ligne… (rires dans la salle), je veux dire : si j’étais malfaisant (nouveaux rires dans la salle)… un bâton d’isolant suffirait… »

« Pas de risques pour le poseur, enchaine l’autre expert. Mais je voudrais détailler les risques pour la caténaire… » Les rapports des dégradations le montrent : elles ont été réalisées par des personnes qui avaient de « bonnes connaissances techniques », l’intention d’« entraîner des dommages » sur les lignes, mais savaient que les opérations seraient « sans danger pour les usagers ». « Pour qu’il y ait catastrophe, il faut deux causes, ajoute le deuxième expert. Ici, il n’y en a qu’une… »

Société Police / Justice
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