Tarnac : Le fiasco de l’antiterrorisme

Dix ans après les faits qui leur sont reprochés, les inculpés de Tarnac voient arriver leur procès, le 13 mars. Le journal en ligne Lundi matin publie les archives de l’affaire.

Ingrid Merckx  • 7 mars 2018 abonné·es
Tarnac : Le fiasco de l’antiterrorisme
Le 11 novembre 2008, des hordes de policiers débarquent dans le village de Tarnac pour arrêter neuf personnes.
© THIERRY ZOCCOLAN/AFP

Le procès de Tarnac va s’ouvrir le 13 mars, presque dix ans après les faits. Le 11 novembre 2008, vingt personnes soupçonnées d’être impliquées dans le sabotage, trois jours plus tôt, de quatre lignes SNCF sont interpellées par des hordes de policiers à Paris, à Rouen, dans la Meuse et à Tarnac, en Corrèze. Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, annonce que ses services ont mis la main sur un groupe de « l’ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome ». C’est le début de l’affaire dite « de Tarnac », impliquant un groupe de jeunes gens de ce village, sous l’égide d’un leader présumé, Julien Coupat. Neuf sont placés en garde à vue pendant 96 heures. Le 15 novembre, quatre sont libérés et placés sous contrôle judiciaire. Les autres sont écroués. Motif : « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste ». La qualification de terrorisme les poursuit jusqu’au 10 janvier 2017, jour où la Cour de cassation l’écarte définitivement.

Finalement, huit personnes seront jugées mi-mars, quatre pour association de malfaiteurs et quatre pour des délits comme des faux ou des refus de prélèvements d’ADN. Pour leurs avocats, le procès de Tarnac sera celui du « fiasco de l’antiterrorisme ».

« Se replonger dans les archives de l’époque, c’est d’abord se souvenir de l’état de sidération, de stupeur et d’écrasement que produisit cette opération », écrit Lundi matin papier #2. Soit le 2e numéro publié par ce journal en ligne qui paraît le lundi matin depuis 2014, et qui entend « agencer des éléments du réel, des paroles, des angles de vue fragmentaires, voire a priori réfractaires les uns aux autres, afin de produire une machine de vision, une certaine intelligibilité du présent », expliquait-il à la parution de son n° 1 papier, en septembre 2017. « Avec plus de 800 articles publiés et 6 millions de visites, le site a su trouver sa place dans l’espace intellectuel et subversif français », poursuit-il, en précisant qu’il est « considéré par les services de renseignement comme l’émanation culturelle et hebdomadaire des positions du Comité invisible ». C’est sous ce nom collectif et anonyme qu’est paru L’insurrection qui vient (La Fabrique), ouvrage trouvé chez Julien Coupat et porté au dossier.

Lundi matin a rassemblé les documents relatifs à l’affaire : la lettre ouverte des parents des mis en examen, datée du 23 novembre 2008. Le texte publié par François Gèze, patron des éditions La Découverte, à propos des éditeurs en colère : « De l’affaire Coupat à l’affaire Hazan », le 20 avril 2009. L’affiche des comités de soutien aux inculpés de Tarnac, en juin 2009. La lettre collective publiée par ces inculpés dans Le Monde le 3 décembre suivant, où ils expliquent pourquoi ils cessent de respecter les contrôles judiciaires qui leur interdisent de se voir. Puis celle publiée dans L’Humanité le 22 mai 2015 : « Nous sommes face à une offensive générale, il faut y répondre par une contre-offensive générale. »

C’est précisément ce terme de contre-offensive que reprend Lundi matin dans son introduction, en considérant cette somme de 320 pages : « Outre l’intérêt propre de ces archives pour tous ceux qui se sont intéressés à cette affaire, et quelle que soit l’issue du procès, ces textes et documents, dont certains datent d’il y a dix ans, se révèlent d’une actualité à la fois saisissante et cruelle. Il est bon de se souvenir aujourd’hui qu’en 2009 intellectuels, figures associatives et politiques s’étaient réunis officiellement dans un comité dont le but premier était l’abrogation des lois antiterroristes… »

En 2018, l’ennemi intérieur a moins le visage de Julien Coupat que d’un jihadiste maison, mais les lois antiterroristes se sont empilées. À relire les documents qui la constituent, l’affaire de Tarnac, à la fois farce et dramatique, laisse le goût amer d’un immense gâchis. Des vies de jeunes gens perturbées, des milliers d’heures de travail de fonctionnaires employées dans quel but ? Quant au terrorisme… Le procès de Tarnac sera, peut-être, celui d’un système défaillant ou manipulateur qui n’aura pas réussi à faire passer l’idée que la plus grande menace, en France, émanait d’une désignée « ultra-gauche ». Même pendant les mobilisations contre la loi travail. « L’antiterrorisme n’est pas une forme de répression judiciaire, mais un mode de gouvernement », estiment les inculpés de Tarnac. « L’antiterrorisme ne vise pas centralement ceux sur qui il s’abat, mais la population en général. Il vise à obtenir, en frappant certains, un effet sur tous les autres. » Peur, sidération, détournement de l’attention, au moins pour une part…

Textes et documents relatifs à l’affaire dite « de Tarnac », Lundi matin papier #2 2008-2018, 320 p., 16 euros.

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