Guilherme Boulos (Brésil) : « Un projet de gauche pour gagner »

Guilherme Boulos est candidat à la présidentielle brésilienne. Il suscite un espoir dans le contexte de régression sociale que connaît son pays.

Patrick Piro  • 4 avril 2018 abonné·es
Guilherme Boulos (Brésil) : « Un projet de gauche pour gagner »
© photo : Sônia Guajajara, co-candidate du PSOL, est une figure des mouvements indigènes.Suamy Beydoun/AGIF/AFP

Guilherme Boulos crève les écrans lors des mobilisations qui dénoncent le « coup d’État institutionnel » qui a débouché, en août 2016, sur la destitution de la présidente Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT, gauche), remplacée par son ex-vice-président, Michel Temer (PMDB, centre-droit). Début mars, Guilherme Boulos a été intronisé candidat du Parti socialisme et liberté (PSOL, gauche radicale), en ticket avec Sônia Guajajara, l’une des meneuses indigènes les plus engagées du Brésil. Nous l’avons rencontré à Salvador lors du Forum social mondial, alors que le pays se réveille sous le choc de l’assassinat, la nuit précédente à Rio de Janeiro, de Marielle Franco, élue PSOL, tuée avec son chauffeur de plusieurs balles à bout portant [1].

L’assassinat de Marielle Franco, dans le contexte d’une très forte dégradation politique et sociale, est-il, si l’on peut dire, la goutte d’eau qui fait déborder le vase ?

Guilherme Boulos

Chef de file du Mouvement des travailleurs sans toit (MTST)

Guilherme Boulos : À dire vrai, le vase déborde depuis longtemps. Nous vivons un moment de crise très grave, marqué par la régression démocratique à l’encontre de la majorité populaire de ce pays, et qui s’accompagne d’une collusion grandissante du système judiciaire avec les élites. L’assassinat de Marielle Franco est une étape de plus dans cette dégradation. Cette élue dénonçait justement l’opération d’occupation militaire de la ville de Rio de Janeiro, récemment décidée par les autorités fédérales pour endiguer la violence, mais qui se traduit par des interventions brutales ayant causé la mort de jeunes Noirs pauvres des favelas et des quartiers périphériques, ainsi que de militants qui résistaient. Cette violence d’État démoralise les mouvements sociaux. Elle est révélatrice du grand danger que vit la société brésilienne.

Pourquoi vous présenter à la présidentielle, alors que vous êtes déjà très engagé dans la lutte des sans-toit ?

Le Brésil ne vit pas une situation normale. Le coup d’État de 2016 l’a fait plonger. En l’espace de deux ans, nous avons subi un recul de plus de cinquante ans dans les politiques sociales ! Il y a la destruction des lois sur le travail, un amendement constitutionnel qui gèle tous les investissements sociaux pour vingt ans, et plus généralement le démantèlement de toutes les politiques publiques à caractère social. Dans un tel contexte, les mouvements sociaux ne peuvent pas se payer le luxe de se cantonner dans leur périmètre. Il faut aller à la bataille politique.

Nous ne sommes pas les seuls à tirer cette conclusion. On voit actuellement se constituer une alliance très large regroupant des mouvements sociaux, des artistes, divers secteurs de la société et un parti politique tel que le PSOL pour porter un projet de résistance à cette régression, ainsi qu’une perspective pour le peuple brésilien.

La situation de Lula, candidat préféré des sondages mais menacé d’interdiction de se présenter, semble hypothéquer la stratégie de la gauche. Comment sortir de ce piège ?

Nous avons des points d’unité au sein de cette gauche. Aussi, il est important que nous sachions faire bloc autour de ce qui nous rassemble : la défense de la démocratie et des droits sociaux, la dénonciation du coup d’État et de l’escalade de la répression, etc.

Cependant, il est clair que nous avons aussi des différences avec le PT : nous présentons un projet bien différent du sien. Notamment, nous jugeons impensable de gouverner le pays au sein d’une majorité sans que soient révoquées toutes les mesures de casse sociale prises par le gouvernement illégitime de Michel Temer. Ensuite, nous ne voyons plus d’espace au Brésil pour mener une politique capable de faire progresser les droits tout en préservant les intérêts des 1 % les plus riches.

C’est-à-dire la voie qu’avait choisie Lula quand il était au pouvoir…

Cela a été possible en d’autres temps, car il existait des marges de manœuvre. Mais le prix de cette option est que l’on n’a pas abordé la question des réformes structurelles, dont une réforme fiscale digne de ce nom. L’abîme des inégalités n’a pas été combattu de front. Six milliardaires possèdent plus de richesses que les 100 millions les plus pauvres ! Voilà le Brésil d’aujourd’hui.

Concernant le système politique, le modèle de gouvernance du PT ne peut pas être reconduit. Ainsi, il n’est pas envisageable pour nous de cautionner une nouvelle alliance avec le PMDB. Ce parti, allié aux secteurs affairistes qui ont ourdi le coup d’État contre Dilma Rousseff, n’a jamais eu de président de la République élu en trente ans et pourtant, par le jeu de la proportionnelle, il détient les cartes de la gouvernance et exerce un chantage permanent. Pour notre part, nous voulons une réforme qui place le peuple au centre de la vie politique du pays.

Que peut apporter au débat votre ticket avec Sônia Guajajara ?

Nous n’allons pas à la présidentielle pour présenter une candidature de témoignage, mais bien pour tenter de l’emporter. Et notre ticket est porté par une forte légitimité. Nous venons des mouvements sociaux, Sônia Guajajara représente la résistance des peuples indigènes, la plus ancienne du Brésil.

Nous voulons présenter un projet de gauche, avec une base sociale et les pieds dans toutes les mobilisations récentes des luttes sociales brésiliennes. De grands intellectuels participent à l’élaboration de notre programme et différents secteurs de la société nous accompagnent dans ce processus. Il sera bien plus consistant que les propositions venant de l’autre côté.

C’est-à-dire venant du PT ?

De tous les bords, droite brésilienne comprise, bien sûr.

[1] Voir notre vidéo de témoignages sur Politis.fr

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