Les conditions de la réussite du Plan Borloo pour les banlieues

Pour le maire de Saint-Denis, Laurent Russier, les quartiers populaires n’ont pas de besoin de charité, mais d’égalité.

Laurent Russier  • 26 avril 2018
Partager :
Les conditions de la réussite du Plan Borloo pour les banlieues
photo : Saint Denis.
© Aiman SAAD ELLAOUI - Ville de Saint-Denis

Le président Macron a confié à Jean-Louis Borloo la rédaction d’un « plan de mobilisation générale » pour les quartiers populaires. Cette mission suscite de l’espoir car Jean-Louis Borloo a su impulser une action d’envergure, bien qu’incomplète, en direction des banlieues avec les grands plans de rénovations urbaines. Ces derniers ont beaucoup apporté mais les besoins restent forts, tant en matière de rénovation que de construction de logements. Depuis, les grands discours s’enchainent mais rien ne change et les habitants des quartiers populaires ne se retrouvent pas dans la vision du président Macron, celle des premiers de cordée ou de l’ubérisation à outrance.

Disons le franchement, la rénovation urbaine a amélioré les conditions de vies de millions de Français, mais n’a pas répondu au problème social. Les quartiers populaires souffrent toujours plus qu’ailleurs des difficultés d’accès à l’emploi, à l’éducation et à la sécurité. Pour que le plan Borloo réussisse, il faut maintenant s’occuper de ceux qui habitent dans ces quartiers afin de traiter les causes et non les symptômes de la pauvreté et de l’exclusion.

Qu’on en juge à Saint-Denis. 39 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. 38 % des jeunes entre 15 et 25 ans sortent du système scolaire sans aucun diplôme et un enfant en Seine-Saint-Denis perd en moyenne un an d’enseignement durant sa scolarité. Le taux de chômage atteint 24 % pour l’ensemble des actifs, 39 % chez les 15-24 ans. Saint-Denis compte environ 1 policier pour 400 personnes contre 1 pour 200 à Paris. L’hôpital et la justice sont exsangues. Ce que nous vivons au quotidien, de nombreux acteurs reconnus le décrivent avec précision, comme le Défenseur des droits, qui parle de « rupture d’égalité ».

Sur le terrain, les familles n’en peuvent plus, des jeunes se réfugient dans la violence, la délinquance et le repli sur le quartier. Le sentiment d’impunité est tel que les établissements scolaires ne sont plus des espaces de protection pour les élèves. Le trafic de drogue se développe sans que l’État ne réagisse véritablement.

Ici plus qu’ailleurs, les habitants croient à la promesse républicaine et ont besoin de services publics. Il faut donc rompre avec les inégalités territoriales qui ont trop longtemps été considérées comme immuables.

Avec le plan Borloo, la politique de la ville doit dépasser l’échelle du simple quartier pour se déployer aussi à l’échelle des agglomérations et des métropoles

Saint-Denis est une ville d’accueil pour toutes et pour tous. Alors que les prix de l’immobilier n’ont jamais été aussi élevés dans les grandes métropoles, il est possible de trouver ici un logement de qualité abordable quel que soit son revenu.

Si certains quartiers continuent de concentrer les difficultés, c’est parce que certaines villes font le choix de l’égoïsme et de l’entre-soi. Maire de Saint-Denis, je suis fier de diriger une ville qui permet à des dizaines de milliers d’habitants d’accéder à un logement digne et convenable.

Certains nous accusent pourtant d’une forme de « délit de solidarité » lorsque nous construisons des logements accessibles. Ceux-là, je leur demande : dois-je laisser sans solution les 8 000 demandeurs de logement social de Saint-Denis ? Gardez plutôt vos injonctions pour les villes qui refusent d’appliquer la loi en ne construisant pas le minimum de logements sociaux. Pour que le plan Borloo réussisse, il faut que la politique de la ville se déploie désormais au niveau des agglomérations et des métropoles pour permettre un rééquilibrage entre banlieues riches et pauvres.

Trois nouvelles priorités pour la politique de la ville : éducation, emploi, sécurité et justice

Il est maintenant nécessaire que la politique de la ville franchisse une nouvelle étape, en mettant l’humain avant l’urbain. À côté des nécessaires rénovations urbaines et rééquilibrages de l’habitat, il faut ajouter des actions fortes pour l’emploi, l’éducation, la sécurité et la justice.

La première priorité doit être donnée à l’éducation qui est un droit dont chacun doit pouvoir bénéficier de façon égale. J’irais même plus loin en affirmant que l’État a une obligation de résultat pour les jeunes des quartiers populaires. Ils sont aussi intelligents qu’ailleurs, il n’y a donc aucune raison qu’ils sortent du système éducatif moins bien formés. Il faut donc pour nos établissements scolaires des enseignants expérimentés et en nombre suffisant, lutter contre le décrochage et soutenir les projets pédagogiques qui développent l’inventivité. Le soutien au sport comme outil de cohésion, au droit à la culture comme vecteur d’émancipation sont essentiels dans cette démarche éducative. Il ne s’agit pas de permettre à quelques individualités de s’en sortir mais d’offrir à tous les conditions de la réussite.

La deuxième priorité, c’est l’emploi. Il faut améliorer la formation professionnelle, lutter contre les discriminations à l’embauche, soutenir les entreprises locales et celles qui font le choix de l’avenir en s’implantant dans les banlieues. Une telle ambition ne peut se limiter à des mesures superficielles, telles que le « coaching emploi ».

La troisième priorité, c’est la sécurité et la justice. Jamais il ne serait accepté que des caïds prennent le contrôle des Champs-Élysées, alors que chez nous les forces de l’ordre sont totalement débordées. Si l’on accepte que la justice et la police soient si peu présentes dans les banlieues populaires, la bataille est perdue d’avance. Contrairement aux idées reçues, les habitant-e-s des quartiers populaires veulent des policiers en plus grand nombre et plus en proximité.

C’est à ces conditions que la République retrouvera toute sa place dans les territoires populaires.

Nous n’avons pas de besoin de charité, nous avons besoin d’égalité.

Nos territoires sont créatifs, dynamiques et ouverts sur le monde. La jeunesse, la diversité et les talents des habitants de Saint-Denis, à l’image de nos artistes et de nos entrepreneurs, sont des atouts qui rayonnent maintenant au niveau mondial. Les cultures urbaines se sont inventées dans nos quartiers avant qu’elles deviennent populaires dans le reste du pays. Nous sommes riches des milliers d’hommes et de femmes qui s’engagent au quotidien dans leur travail, dans les associations et qui font vivre le sport, la culture et la solidarité.

Qu’on le veuille ou non, les quartiers populaires sont la France de demain. Ils sont une immense chance pour notre pays. Le plan Borloo réussira s’il se donne pour objectif de permettre aux 5,5 millions de Français qui vivent en banlieue de trouver leur place dans la république.

Moi, maire de Saint-Denis, j’y crois et je suis prêt à répondre à cet immense défi. Le gouvernement est-il prêt lui aussi ? Faites confiance aux élu-e-s et aux habitant-e-s des quartiers populaires.

Publié dans
Tribunes

Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.

Temps de lecture : 6 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Les soutiens d’un État génocidaire n’ont pas leur place dans nos luttes féministes !
Tribune 28 mars 2024

Les soutiens d’un État génocidaire n’ont pas leur place dans nos luttes féministes !

TRIBUNE. À l’initiative d’Urgence Palestine, plus de 500 personnalités, militant.e.s, et collectifs féministes dénoncent l’instrumentalisation de leur lutte par le collectif « Nous vivrons » et assurent que « la libération de la Palestine est une cause féministe ».
Par Collectif
« Madame la ministre, il est urgent de garantir l’indépendance des rédactions »
Tribune 26 mars 2024

« Madame la ministre, il est urgent de garantir l’indépendance des rédactions »

TRIBUNE. Après la crise intervenue au quotidien La Provence, soixante-dix sociétés de journalistes, médias – dont Politis -, syndicats et collectifs interpellent la ministre Rachida Dati pour lui demander de défendre enfin l’indépendance du journalisme.
Par Collectif
Les restaurants universitaires doivent offrir une option végétalienne
Tribune 11 mars 2024

Les restaurants universitaires doivent offrir une option végétalienne

Dans une lettre ouverte au Cnous, Jade Béniguel et Clovis Waroquier, co-référents des Jeunes REV (Révolution Écologique pour le Vivant), appuient les étudiant·es qui exigent des options végétaliennes dans les restaurants universitaires.
Par Jade Béniguel
Des collaborateurs du groupe Écologiste demandent une sanction contre Julien Bayou
Lettre ouverte 8 mars 2024

Des collaborateurs du groupe Écologiste demandent une sanction contre Julien Bayou

Dans une lettre ouverte adressée au groupe Écologiste de l’Assemblée nationale, 21 collaboratrices et collaborateurs parlementaires ne se satisfont pas de la mise en retrait du député visée par une plainte d’Anaïs Leleux, militante féministe et ex-compagne.
Par Collectif