Marwan Muhammad : « Connaître la diversité et les aspirations des musulmans »

Principal organisateur et concepteur de la consultation, Marwan Muhammad détaille la démarche et analyse les premiers enseignements de cette étude inédite.

Olivier Doubre  • 27 juin 2018 abonné·es
Marwan Muhammad : « Connaître la diversité et les aspirations des musulmans »
© photo : JOEL SAGET/AFP

Ouverte pendant un mois sur Internet et autour de nombreux débats dans les régions françaises, la « consultation des musulmans » a rencontré un succès certain, avec près de 25 000 réponses aux dix-sept questions posées. Ancien directeur et actuel porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France, Marwan Muhammad expose les grands principes qui ont guidé l’initiative et esquisse l’analyse des résultats dépouillés jusqu’ici.

Quels étaient les objectifs et la méthode de cette consultation ?

Marwan Muhammad : Nous avions des intuitions sur les besoins des musulmans et les problématiques auxquelles ils sont sensibles, mais nous étions conscients que nous connaissons très mal les musulmans de France, dans leur diversité et leurs aspirations.

À lire aussi >> Qui peut parler au nom des musulmans ?

Par ailleurs, dès que l’on cherche à interroger une population minoritaire, se pose la question, fondamentale, de la méthodologie. Nous savions que les conditions d’un vrai sondage, en termes d’échantillonnage, de variables et de paramètres, n’étaient pas réunies : une telle opération est très complexe à mener. Aussi, nous avons opté pour une consultation par Internet, moins contraignante qu’un sondage en bonne et due forme, sans néanmoins abandonner nos principes et objectifs de départ : donner la parole aux musulmans en premier lieu ; réaliser une enquête solide et sérieuse sans prétendre être représentatif des cinq millions de musulmans (estimés) en France. Dans le même temps, nous souhaitions que la participation et les réponses soient significatives en termes de nombre et d’implication des personnes, mais aussi de qualité des réponses recueillies.

Nous savons qu’une consultation en ligne comporte des biais inévitables, comme l’accès aux outils informatiques ou l’habitude d’utilisation du Web. Aussi avons-nous cherché à les compenser en organisant des rencontres locales, via les associations ou les mosquées, où pouvait se retrouver pour dialoguer une population pas forcément connectée aux réseaux sociaux. J’ajoute enfin que cette méthode a permis de concevoir la consultation non pas seulement comme une étude, mais également comme une mobilisation.

Cette initiative ne va-t-elle pas à l’encontre de la tradition française laïque et démocratique ?

Comme je l’ai dit, on connaît très mal les musulmans. S’agit-il de personnes qui prient ou non, qui jeûnent ou non ? Fréquentent-ils les mosquées ou d’autres lieux associatifs ? Nous avions quelques indications grâce à l’étude « Trajectoires et origines » menée par l’Ined et dirigée, entre autres, par Patrick Simon (1). Elle montre notamment que trois quarts des musulmans ne fréquentent pas un lieu de culte et n’ont pas d’implication quotidienne dans des mosquées ou des congrégations. Mais aussi que la consommation halal et le jeûne du ramadan sont parmi les pratiques les plus répandues. En dehors de cela, on ne sait pas grand-chose. C’est pourquoi nous tenions à un mécanisme de consultation qui ne se concentre pas sur le niveau d’implication religieuse.

Nous ne souhaitions pas avoir une lecture uniquement religieuse du culte musulman, car, pour beaucoup de personnes, être musulman est d’abord culturel et social. En outre, ce que l’on a perçu lors de cette consultation, c’est une volonté claire de s’exprimer démocratiquement et que tous les avis puissent être pris en compte.

Dans les réponses dont vous avez pu prendre connaissance, apparaît-il une réelle volonté de représentation au niveau national ? Et quid des musulmans qui ne voudraient pas être représentés ?

Ce désir d’avoir une représentation nationale n’était pas du tout acquis au départ. Les consultations locales (nous n’avons pas encore dépouillé le reste) révèlent un besoin affirmé d’une telle représentation… mais principalement pour répondre à des besoins très concrets. Comment organiser le pèlerinage à La Mecque ? Où enterrer nos parents en accord avec le rite musulman ? Comment organiser et financer les structures et associations musulmanes ? C’est donc d’abord une vision utilitaire, je dirais orientée « services », de la nécessité d’une instance nationale.

Par ailleurs, un vrai problème apparaît dans la manière dont les musulmans sont représentés par les instances existantes. Et la nécessité d’avoir un porte-parole au niveau national n’est pas du tout claire, même s’il est certain que la représentation actuelle des musulmans, notamment dans les médias, est souvent insupportable aux personnes qui ont répondu. Il faut donc distinguer la question de la représentation de celle d’avoir un ou des représentants.

(1) Éd. de l’Ined, 2016. Voir l’entretien avec Patrick Simon sur cette étude, _Politis n° 1386, du 14 janvier 2016.

Marwan Muhamamad Porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France.

Société
Temps de lecture : 4 minutes