[TRIBUNE] Manu, un jeune président contre la jeunesse

Pour Thomas Kekenbosch, Benjamin Lucas et Roxane Lundy, anciens dirigeants du Mouvement des jeunes socialistes actuellement à Génération.s, l’excessive mise en scène du pouvoir par Emmanuel Macron a pour vocation de faire oublier sa fuite en avant libérale.

Thomas Kekenbosch  et  Benjamin Lucas  et  Roxane Lundy  • 22 juin 2018
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[TRIBUNE] Manu, un jeune président contre la jeunesse
Photo : Emmanuel Macron au Mont-Valérien, le 18 juin 2017
© Ludovic MARIN / AFP

Un président de la République, grandi par son titre, entouré de caméras et de gardes du corps, ne devrait pas avoir besoin de s’en prendre à un enfant pour faire respecter son nom et sa fonction. Emmanuel Macron n’en a pas besoin. Il a pourtant choisi non seulement d’humilier un collégien, qui désormais se terre pour échapper tant aux quolibets qu’aux journalistes, mais aussi de relayer son exploit dans les médias avec l’humilité d’un grand singe qui se frappe le torse.

Cette mise en scène virile voudrait nous convaincre qu’avec Emmanuel Macron, la République est entre de bonnes mains. Elle ne tremblera pas devant l’injure, elle ne pliera pas devant la moindre atteinte à son prestige. Soyons-en certains : le Président fait respecter la fonction, il l’incarnera par-devant les plus grands outrages, et ne laissera pas passer la moindre potacherie.

Faut-il qu’Emmanuel Macron se sente bien fébrile pour se sentir obligé d’une telle exhibition ! C’est que le contraste est cruel entre cette démonstration permanente d’un Roi soleil omnipotent et la réalité d’un pouvoir qui se délite. Sur le plan extérieur, le Président enchaîne les déconvenues, marginalisé par Donald Trump, impuissant en Europe. Sur le plan intérieur, le rouleau compresseur En marche ! s’emploie, selon la doctrine thatchérienne, à mettre à bas chaque instrument qui fait de la société autre chose qu’une juxtaposition d’individus. La réalité du pouvoir macroniste, c’est de défaire chaque jour un peu plus le pouvoir de la République : ici à réduire les droits du salarié, là à se contenter de discours faussement performatifs contre le réchauffement climatique tout en cédant tout ou presque aux lobbies industriels, ici encore en privatisant barrages, trains, jeux à gratter, et progressivement tout instrument qui pourrait donner au politique une quelconque capacité à changer le cours des choses.

En démantelant, brique par brique, l’État-providence, c’est la souveraineté populaire qui s’émousse. Déjà bien abîmée par les cyniques et les résignés, par la réalité d’un pouvoir concentré dans quelques hommes, ou encore par la lassitude du parlementaire face à la puissance privée tel Sisyphe face à son rocher, la démocratie représentative se voit désormais attaquée plus profondément encore par le néolibéralisme, qui lui retire en dernière instance les instruments même de la politique en action.

Le néolibéralisme appelle le néoconservatisme

Avec cette saillie paternaliste, Emmanuel Macron se montre nu. La fuite en avant libérale détruit le pouvoir en actes, il faut donc compenser par une excessive mise en scène du pouvoir en mots, en gestes, en mythes et en tirades, enfin par tous les symboles imaginables qui pourraient pallier l’affaissement républicain. C’est en cela que le néolibéralisme appelle le néoconservatisme. Immigration, sécurité, conflits sociaux, et bien évidemment jeunesse : Emmanuel Macron rejoue la même pièce que Margaret Thatcher.

Derrière ce visage juvénile s’entrevoit la cohérence d’un an de macronisme qui chaque instant méprise la jeunesse. Président jeune, mais Président contre les jeunes. La jeunesse est la classe d’âge la plus pauvre de la population, elle est exclue des minima sociaux, elle est la population la plus précaire, la moins susceptible d’aller chez le médecin ou de manger à sa faim. Pourtant, Emmanuel Macron baisse les allocations logement, supprime les protections sur le marché du travail, met fin au régime étudiant de sécurité sociale au lieu de lui donner une ambition nouvelle. Il place l’université, à l’image d’autres services publics, sur les rails de la privatisation. Il ne voit la jeunesse que comme une compétition dont se sortiront ceux qui sont quelque chose et qu’abandonneront bientôt ceux qui ne sont rien. Car pour le futur bachelier comme pour l’équipe de France, « une compétition est réussie quand elle est gagnée ».

Le projet gouvernemental d’un service national obligatoire vient couronner ce tableau. La jeunesse n’a plus d’avenir ? Elle aura au moins des valeurs. Car l’électorat apeuré doit être rassuré. Ce jeune effronté qui interpelle « Manu » doit retrouver les valeurs de la République. Et ces bataillons de jeunes pauvres et oisifs ne sont pas sans faire porter une ombre subversive sur l’ordre social. On convoquera alors des images séculaires pour légitimer la mise au pas de cohortes de fainéants, dont le niveau baisse, démunis d’engagement civique et d’esprit patriotique. Quand le moment sera opportun, on verra monsieur le Président parader dans une nouvelle vidéo sur son compte Twitter avec quelques jeunes fiers d’être rentrés dans le droit chemin au terme d’une journée de service national. En ces temps de disettes budgétaires, alors qu’on rogne tout le reste, cette belle image vaut bien qu’on y sacrifie quelques milliards.

On voit ainsi venir, comme une évidence, la construction autoritaire et conservatrice qui fera oublier la fermeture du bureau de poste, le retard du train, le burn-out de l’instituteur, l’épuisement de la soignante, et la douleur de l’aînée dont Parcoursup a brisé le rêve. Le projet politique d’Emmanuel Macron rend chaque jour plus difficile de réaliser la promesse républicaine. La jeunesse est au premier rang de ses victimes. Prenons garde à ce que la fuite en avant libérale ne se traduise pas, très vite, par un grand saut en arrière conservateur.

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