Avant de mourir, un jardinier californien poursuit Monsanto

La multinationale commercialisant le Roundup, herbicide dont la substance active est le glyphosate, dépense des millions de dollars pour contrer le plaignant, atteint d’un cancer incurable.

Claude-Marie Vadrot  • 13 juillet 2018
Partager :
Avant de mourir, un jardinier californien poursuit Monsanto
photo : Dewayne Johnson durant son procès contre Monsanto.
© JOSH EDELSON / POOL / AFP

Dewayne Johnson, un jardinier californien, a trouvé des avocats pour l’aider à trainer les responsables de Monsanto devant un tribunal de Californie. Il accuse la multinationale vendant le Roundup depuis une quarantaine d’années d’être responsable de son cancer – désormais en phase terminale d’après les médecins, ce qui a poussé la justice de son État à accélérer le cours du procès annoncé à la mi-juin. Une réaction aussi contre la campagne publicitaire lancée par la firme pour expliquer que son composé principal, le glyphosate, ne pouvait pas être tenu responsable de la maladie du jardinier, au moyen d’une débauche d’affiches et d’articles qui ont coûté 5,6 millions de dollars. Une goutte d’eau par rapport au dernier chiffre d’affaires annuel connu du seul herbicide de Monsanto – de 4,8 milliards de dollars en 2015.

La science manipulée

Les autorités californiennes soutiennent ouvertement le plaignant. Et Carey Gillam, l’auteur du livre Blanchiment : l’histoire d’un tueur de semences, cancer, et corruption scientifique (1) a décidé d’être témoin à charge dans le procès.

Dans son ouvrage publié en octobre 2017 et pour lequel aucune version française n’est annoncée, ce journaliste raconte comment Monsanto manipule les rapports scientifiques et noyaute les centres de recherche. Il montre aussi les vies détruites de nombreux fermiers américains, malades après une utilisation prolongée du Roundup.

« Jusqu’à une date récente, explique-t-il en commentant le procès, le danger de ce produit est resté sous les radars de nombreux consommateurs ou utilisateurs, parce qu’évoquer un produit tueur de semences, ce n’est pas très sexy. Maintenant, avec ce procès intenté aux effets de cet herbicide, on en découvre les aspects humains avec ce jeune père de famille avec son cancer en phase terminale et le public commence à prendre conscience de la réalité. »

Le géant américain joue la montre

Si le tribunal tranche en faveur de cette victime, les millions d’Américains qui utilisent ce produit chez eux vont peut-être avoir peur de l’utiliser. Et, aux États-Unis comme en Europe, où l’on est beaucoup plus prudent, les ventes de Monsanto, même racheté par Bayer, risquent de chuter. Celles du Roundup évidemment, mais aussi celles des autres produits.

C’est probablement l’une des explications de la fusion Monsanto-Bayer : elle permet de faire disparaître le géant américain. Comme après l’accident chimique de Bhopal qui fit plus de 7 000 morts en Inde en 1984, où le rachat quelques années plus tard de l’Union Carbide (responsable de la catastrophe) par une autre société américaine, Dow Chemical, eut pour conséquence de faire « disparaître » les responsables. Et, en Inde, leur procès ne put jamais avoir lieu.

Comme le jugement, même rendu en faveur du jardinier californien, même imité par des milliers d’Américains, sera l’objet de nombreux appels, il est possible que Monsanto échappe à la justice. D’autant plus que Dewayne Johnson ne sera plus là pour témoigner de ses terribles souffrances. Il consacrera ses dernières forces, malgré les lésions provoqué par sa maladie, a témoigner et à faire face toute la journée du 30 juillet, face aux avocats de Monsanto au tribunal de San Francisco. Il espère rendre un ultime service aux milliers de victimes américaines qui sont déjà en procès conte le géant de l’agrochimie.

(1) Whitewash : the story of a weed killer, cancer and corruption of science

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus
Justice 18 avril 2024 abonné·es

Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus

Les 2 et 3 avril derniers, à Paris, Jean-Noël « Txetx » Etcheverry et Béatrice Molle-Haran répondaient de leur participation à l’opération de désarmement de l’organisation de lutte armée ETA en 2016, à Louhossoa, au Pays basque. Avec cette question : un acte illégal, mais qui s’est avéré légitime, mérite-t-il d’être puni ?
Par Patrick Piro
Les Naturalistes des terres, « déters » à passer à l’action
Luttes 17 avril 2024 abonné·es

Les Naturalistes des terres, « déters » à passer à l’action

Depuis plus d’un an, le collectif des Naturalistes des terres agit lors des mobilisations en posant des nichoirs, en creusant des mares, en organisant des balades naturalistes politisées… Ils proposent une nouvelle forme de militantisme écolo.
Par Vanina Delmas
Mobilisations écolos : c’est la lutte joyeuse !
Enquête 17 avril 2024 abonné·es

Mobilisations écolos : c’est la lutte joyeuse !

Le mouvement climat a connu de nombreuses mutations depuis les premières marches des années 2010. La dynamique des luttes locales en a fait un mouvement inventif, déterminé et hautement politique.
Par Vanina Delmas
À Chypre, escalade de violences envers les étrangers
Reportage 17 avril 2024 abonné·es

À Chypre, escalade de violences envers les étrangers

Alors que le Parlement européen vient de se doter d’un pacte qui vise à restreindre les conditions d’asile et d’immigration tout en sécurisant toujours plus les frontières, l’île multiplie les discriminations à l’encontre des demandeurs d’asile.
Par Marine Caleb