Mort de Clément Méric : le procès, l’heure de vérité

Du 4 au 14 septembre, les agresseurs du militant antifasciste seront jugés par la cour d’assises de Paris. Mais ses proches et camarades de lutte entendent aussi faire le procès des violences politiques de l’extrême droite.

Malika Butzbach  • 3 septembre 2018
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Mort de Clément Méric : le procès, l’heure de vérité
© photo : Joël SAGET / AFP ; JACQUES DEMARTHON / AFP ; FREDERIC HAZIZA / AFP

Voilà cinq ans que ce nom est devenu familier, revenant parfois dans les articles ou sur des banderoles de manifestants. Le 5 juin 2013, Clément Méric, étudiant de 18 ans, mourait sous les coups de skinhead. Mais, surtout, ne parlez pas de fait divers. _« L’enjeu du procès, c’est de sortir de la vision réductrice d’une bagarre entre deux bandes rivales », prévient Aurélien. Membre du Comité pour Clément et ami de celui-ci, le jeune homme était présent lors des événements. « Il s’agit d’une violence politique », estime-t-il. Proches et camarades de lutte du jeune étudiant de Sciences Po insistent sur la dimension politique de son meurtre. « L’extrême droite tue, faisons son procès », clame un tract de Solidaires Étudiant-e-s, le syndicat où militait Clément Méric.

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« Mettre en lumière les zones d’ombre »

Ils seront trois sur le banc des accusés : Esteban Morillo et Samuel Dufour, jugés pour « coups mortels en réunion et avec arme », et Alexandre Eyraud, jugé pour « violence ». C’est sous les coups d’Esteban Morillo, sympathisant du groupuscule d’extrême droite Troisième Voie (dissout depuis), qu’est décédé le jeune homme. Les faits ont eu lieu rue Caumartin (Paris), à la sortie d’une vente privée de la marque Fred Perry. Les deux groupes se croisent et s’invectivent puis, plus tard, se battent. Mais de nombreuses questions restent en suspens : _« Ce procès, c’est aussi pour mettre en lumière les zones d’ombre de cette affaire », explique Aurélien. Esteban Morillo, aujourd’hui âgé de 25 ans, a reconnu avoir frappé à deux reprises Clément Méric, et lui avoir assené le coup qui entraîna sa chute et sa mort suite à un œdème cérébral. Mais les expertises médicales font état de plusieurs coups (entre trois et cinq) sur le visage du jeune homme. Morillo est-il le seul en cause ou son coaccusé, Samuel Dufour a-t-il également frappé le militant ? Ce même Samuel qui, quelques heures après la bagarre, se vantait par SMS d’avoir frappé avec un poing américain. Pourtant, les deux hommes nient l’utilisation d’une telle arme lors de la bagarre.

Batskin, le témoin clé

Une autre personne présente au procès renforce la dimension politique de l’affaire. Il s’agit de Serge Ayoub. Fondateur de divers groupuscules violents comme les Jeunesses nationalistes révolutionnaires ainsi que Troisième Voie, l’homme de 53 ans sera entendu comme témoin. Depuis les années 1980, celui qui l’on surnomme Batskin (le skinhead à la batte) fait parler de lui. C’est dans son bar, le Local (qui a fermé depuis), que la bande de Morillo et Dufour se retrouve le soir du 5 juin 2013, après la bagarre. Samuel Dufour échange aussi des SMS avec un des proches du leader de Troisième Voie, le mentionnant explicitement. « J’ai plein de sang sur mon bombers mais c’est le mien, demande à Serge si je dois le nettoyer ? » Message resté sans réponse.

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Photo : Esteban Morillo et Serge Ayoub en mai 2013 lors d’une manifestation de l’Action française.

Un tatouage « Travail, famille, patrie » recouvert

Ce procès se tiendra sous le feu des projecteurs médiatiques. Comment peut-il en être autrement après la vague d’émotion et de réactions qu’a déclenchée, à l’époque, la mort du jeune antifa. François Hollande, alors président de la République, lui avait rendu hommage. Une minute de silence avait été observée à l’Assemblée nationale. Les journaux avaient très largement couvert l’affaire. « Je pense qu’il y a eu une forte identification de la part des journalistes, explique Aurélien. Mais cette médiatisation fera le jeu des différentes parties du procès. Et le risque d’instrumentalisation n’est jamais loin », avertit le jeune homme. Par exemple lorsque Antoine Maisonneuve, avocat d’Esteban Morillo, le présente comme repenti devant les médias, affirmant que son client a « tiré un trait » et « coupé tout contact » avec les groupuscules d’extrême droite. Pourtant, le comité avance que le jeune homme a recouvert ses tatouages, notamment celui où on pouvait lire « Travail, famille, patrie » sur son bras, un mois avant le procès.

Les enjeux d’un jugement

Cinq ans après les faits, le contexte politique et médiatique a changé. Après 2013, la presse avait à plusieurs reprises mis en lumière les violences des groupuscules d’extrême droite. Mais, presque un an après le procès du quai de Valmy, ce sont les actes de personnes issues de la gauche radicale qui se retrouvent sur le devant de la scène. On ne compte plus les articles et reportages sur les casseurs et le cortège de tête. « Pourtant les violences d’extrême droite perdurent, pointe Aurélien. Il suffit de voir ce qu’il se passe en Allemagne, où des néonazis chassent les migrants… » Le risque est que ce procès devienne celui des antifas. Déjà, lors de l’enquête, une vidéo de la RATP avait été utilisée par certains médias pour dire que c’était Clément Méric qui avait frappé le premier, légitimant d’une certaine manière les coups d’Esteban Morillo comme de la légitime défense. La vidéo s’était pourtant révélée inutilisable car ne montrant que les jambes des protagonistes.

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Si la peine est légère, cela ne sera pas un bon signal. Notamment pour d’autres militants d’extrême droite qui seraient tentés de se livrer à des actions violentes.

Il reviendra aux juges et jurés de trancher. « Si la justice est une institution d’État construite pour favoriser les plus forts, ce procès est un moment de vérité sur les faits mais aussi sur Clément et ce qui a été dit de lui », affirme Aurélien. Le Comité pour Clément organisera, durant les dix jours du procès, plusieurs rassemblements, dont le mardi 4 septembre, premier jour du procès, rue Caumartin, où est tombé Clément. « Il ne s’agit pas de créer des troubles. Mais nous avons des choses à dire et à rappeler », insiste Aurélien. Depuis le début, le comité ne réclame pas de peine, rappelle-t-il, tout en pointant les enjeux de ce jugement :

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