Économie et idéologie

Comme toute science, l’économie doit être soumise à la confrontation entre les faits et la théorie.

Jérôme Gleizes  • 14 novembre 2018 abonné·es
Économie et idéologie
photo : pour Milton Friedman, c’est la réalité qui doit s’adapter à la théorie, et non l’inverse.
© ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

U****ne nouvelle fois, le programme de sciences économiques et sociales (SES) est contesté. Sous l’impulsion de Jean-Michel Blanquer, le Conseil supérieur des programmes (CSP) propose une réforme très orientée de cette matière. Les professeurs de SES sont accusés de faire de l’idéologie plutôt que d’enseigner les fondements réels de l’économie, à commencer par une juste présentation de ce que seraient l’économie et l’entreprise. Au nom de cette lutte idéologique, le CSP, loin de proposer une neutralité axiologique, impose une vision libérale centrée sur la rationalité des agents et le libre fonctionnement des marchés. Derrière cet affrontement s’en cacherait un autre : celui qui oppose les défenseurs d’une économie mainstream mathématisée et les socio-économistes utilisant des méthodes plus qualitatives que quantitatives. Mireille Bruyère a déjà évoqué cette deuxième controverse (1).

Évacuons d’abord les faux débats. Les mathématiques sont un outil et non une fin. Certains modèles économiques sont d’une pauvreté heuristique affligeante, où les conclusions ne sont que la conséquence des hypothèses initiales ad hoc, quelle que soit la sophistication du système. Inversement, certaines analyses relèvent plus du commentaire que de la confrontation d’analyses pour l’explication de faits réels.

Autre débat : l’économie est-elle une science dure ou une science sociale ? L’économie s’est rapprochée des sciences dures au fur et à mesure de son développement en rationalisant son approche par l’usage des mathématiques ou des statistiques, mais elle n’est pas une science expérimentale. Elle reste une science sociale où les êtres humains, par leur action, peuvent modifier les causalités. Une même politique peut avoir des effets différents. En réponse à cela, Friedman a développé une épistémologie instrumentale où c’est la réalité qui doit s’adapter à la théorie, et non l’inverse. Ces modèles deviennent prescriptifs, ce qui est très critiquable d’un point de vue épistémologique.

L’économie, comme toute science, doit être soumise à la confrontation entre les faits et la théorie. Par exemple, Marx ne s’est pas opposé à Smith. Il est parti de sa théorie de la valeur travail pour l’améliorer, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir une position politique opposée. Tout économiste comme tout être humain a des opinions politiques mais celles-ci ne doivent pas biaiser le raisonnement. Elles déterminent uniquement les sujets d’intérêt et les priorités politiques. Si l’économie ne doit pas être une science prescriptive, elle ne peut pas être non plus une simple science de l’action, un ensemble de techniques d’aide à la décision, comme certains économistes le désirent. La réforme des SES cumule ces deux travers : donner une vision technique et unilatérale alors qu’elle devrait défendre une approche pluraliste.

L’Association des professeurs de sciences économiques et sociales défend une vision émancipatrice de l’école et de l’économie dans une pétition pour une réécriture des projets de programmes de SES. Soutenons-les (2).

(1) « Le danger de l’unification des sciences sociales », _Politis n° 1525 du 1er novembre.

(2) www.apses.org/petition-programmes

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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