Faut-il sauver le soldat OMC ?

TRIBUNE. L’Organisation mondiale du commerce traverse une crise, l’Union européenne, dont la France, semble vouloir la remettre sur pied.

Guillaume Erceau  • 19 novembre 2018
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Faut-il sauver le soldat OMC ?
© Photo : ERIC PIERMONT / AFP

Fer de lance de la mondialisation néolibérale, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1995, est en crise. L’OMC est aujourd’hui dans la crainte de quatre éléments

Guillaume Erceau est porte-parole d'Attac Loire-Atlantique

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  • Les subventions distorsives : certains États subventionnent certains secteurs, ne respectant alors pas le principe d’« équité » du commerce, où une entreprise nationale ne doit pas être plus favorisée qu’une entreprise étrangère. Selon les principes de l’OMC, c’est une entrave à la libre concurrence.

  • Le transfert forcé de technologie : certains pays, comme la Chine notamment, forceraient des entreprises à fournir leurs technologies (plans, codes sources, etc.). Ce sont des contreparties qu’un État demande à une entreprise pour que celle-ci puisse accéder à son marché intérieur national. Cela entrave la liberté d’installation, principe essentiel du néolibéralisme.

  • La redéfinition des acteurs économiques mondiaux : il y a aujourd’hui un problème de définition, de prise en compte de l’évolution des acteurs du commerce mondial ; les pays dits « émergents » sont aujourd’hui de véritables puissances commerciales (Chine, Inde, Brésil, etc.), or cette évolution est mal prise en compte dans l’évolution des négociations depuis la dernière décennie.

  • La restructuration de l’organe de règlement des différends : l’ORD, qui vise à régler les conflits entre États, n’aura plus qu’un seul arbitre en poste… fin 2019. Or cet outil, qui donc ne sera plus fonctionnel, est vu pour l’OMC comme LE moyen pour calmer les tensions entre États, quand la diplomatie ne suffit pas.

Lundi 16 novembre, la conférence publique « Une OMC adaptée au XXIe siècle », organisée par, entre autres, le ministère de l’Économie et des Finances, « en étroite coopération avec la Commission européenne »_, se veut un moment d’échange pour trouver des solutions, afin d’agir, pour la relance de la libéralisation du commerce mondial.

Dès l’ouverture, le tempo est donné ! Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, Roberto Azevêdo, directeur général de l’OMC, et Cecilia Malmström, commissaire européenne au Commerce, ouvrent le bal. Bruno Le Maire commence alors par exprimer la volonté de la France de participer à la relance de l’OMC, organisation internationale « indispensable » selon ses mots.

Le discours déroulé durant une heure par les différents intervenants est d’une logique ancienne et totalement dogmatique : favoriser le commerce permet la croissance, donc la montée du niveau de vie, amenant finalement la « prospérité ». Précisions de notre ministre, cette façon de commercer à l’échelle mondiale permet la prospérité, « malgré ses faiblesses ». Et quelles faiblesses ! Dans le monde, les riches n’ont jamais été aussi riches, les pauvres sont de plus en plus pauvres. Car si l’arnaque intellectuelle consiste à diffuser l’idée que la mondialisation permet l’élévation du niveau de vie à l’échelle mondiale, la question des inégalités est occultée. En effet, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes, les hyper-riches n’ont jamais été aussi nombreux et puissants. En 2017, le nombre de milliardaires atteint plus de 2 000 à travers le monde, leurs fortunes ayant augmenté de 19 % en un an. Comme le rappel Lucas Chancel, co-directeur du Laboratoire sur les inégalités mondiales et de WID.world, « les 1 % les plus riches du monde captaient 16 % du revenu en 1980, c’est 20 % aujourd’hui. La moitié la plus pauvre de la population a stagné autour de 9 % sur la période, malgré les évolutions dans les pays émergents. Au niveau mondial, les 1 % du haut ont capté deux fois plus de croissance que la moitié du bas, c’est considérable ». Telles sont les véritables conséquences de la mondialisation néolibérale.

Un message fut crucial à faire passer pour M. Le Maire et Mme Malmström : « La guerre froide commerciale » entre les États-Unis et la Chine est un danger. Et, si cela devient « une guerre chaude », c’est-à-dire une guerre commerciale ouverte, alors tout le système s’effondre. Là est la crainte de l’Union européenne. Là est le défi de l’Union européenne actuelle, entre un rôle de rempart, d’arbitre et de moteur du commerce mondial néolibéral. Cecilia Malmström soutiendra que l’Union européenne sera moteur de propositions sur cette réforme.

Pointant une Chine qui « n’a pas suivi les règles » selon Bruno Le Maire, celle-ci nuit par ses abus à l’entrave d’un « marché équitable ». Car, pour ces prophètes du libre-échange, il est nécessaire de mettre en place un « multilatéralisme lucide […], juste et réciproque ». Traduction de cette novlangue : un bon multilatéralisme est basé sur le principe de « la nation la plus favorisée ». On retrouve la définition de ce principe juridique dans l’accord Ceta : _« Chacune des Parties accorde aux investisseurs de l’autre Partie et aux investissements visés un traitement non moins favorable que le traitement qu’elle accorde, dans des situations similaires, aux investisseurs et aux investissements qu’effectuent ces derniers dans un État tiers pour l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la direction, l’exploitation, la gestion, la maintenance, l’utilisation, la jouissance ainsi que la vente ou l’aliénation de leurs investissements sur le territoire de cette Partie. ». Conclusion : la souveraineté d’un État ou d’une collectivité est entravée, réprimée et pourrait faire l’objet de poursuite devant des tribunaux arbitraux privés (comme dans le cas du Ceta) ou devant l’organe de règlement des différends de l’OMC (l’ORD). Ces deux mécanismes relevant du même principe, la démocratie est donc en jeu, nos décisions collectives, les citoyens, n’ont pas leur mot à dire devant l’intérêt des multinationales. Or le ministre de l’Économie et des Finances le réaffirme, « l’établissement d’un organe de règlement des différends est une priorité absolue ».

Et cela est important, car dans ces conditions, nous ne pourrons pas effectuer la transition écologique et sociale dont nous avons besoin. Bruno Le Maire dit pourtant que « l’environnement c’est le plus grand défi planétaire », et que de l’OMC aux accords bilatéraux, cette problématique doit être prise en compte. Le discours est là, les faits inexistants, mais surtout contradictoires. Les accords entre l’Union européenne avec le Canada (Ceta) et le Japon (Jefta), qui sont en cours de ratification, et soutenus par ce gouvernement, sont des accords climaticides. De l’extraction, à l’importation sans taxe de gaz de schiste, de pétrole de sables bitumineux, à la poursuite devant les tribunaux privés de collectivités pour avoir favorisé l’environnement, en passant par l’importation d’OGM et de 42 nouvelles molécules canadiennes interdites jusque-là dans l’Union européenne… l’environnement est toujours juridiquement inférieur aux droits commerciaux, donc aux intérêts privés. Aucune sanction, aucun instrument de contrainte ne sont prévus pour protéger l’environnement dans ce type d’accord. Le droit au profit étant toujours supérieur au droit de l’environnement, cette communication n’est qu’un écran de fumée dans un nuage toxique qui ne cessera d’augmenter avec ce type de politique commerciale internationale.

Le soldat OMC est en difficulté, l’Union européenne, dont la France, semble vouloir le remettre sur pied. En signant des accords de libre-échange bilatéraux type Ceta ou des accords multilatéraux avec l’OMC, le résultat est identique. Il est impératif que cela cesse, et que les citoyens se mobilisent pour revendiquer l’intérêt général, la transition écologique et sociale dans les négociations commerciales mondiales. Une autre coopération internationale est nécessaire. Une autre mondialisation est possible.

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