« Le Monde » y los Picaros

Ce qui vient de se passer au Venezuela, où Juan Guaidó s’est autoproclamé la semaine dernière « président en exercice », porte un nom : c’est un coup d’État.

Sébastien Fontenelle  • 29 janvier 2019 abonné·es
« Le Monde » y los Picaros
photo : Juan Guaido et Nicolas Maduro.
© YURI CORTEZ / AFP

Deux minuscules précisions avant de commencer. Qui vont de soi – mais encore mieux en les (re)disant. D’une : tout ne se vaut pas. (Dans les temps de grande confusion que nous traversons, il n’est peut-être pas inutile de le rappeler.) De deux : Nicolás Maduro, président du Venezuela, réélu il y a un an dans des conditions assurément problématiques, est tout sauf sympathique (1). Disons même qu’il est assez flippant.

Ceci posé, ce qui vient de se passer dans son pays, où Juan Guaidó, président de l’Assemblée nationale, s’est autoproclamé la semaine dernière « président en exercice » puis a été immédiatement reconnu comme tel par Donald J. Trump, porte un nom : c’est un coup d’État (2). Soit, d’après Wikipédia : un « renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité, de façon illégale et souvent brutale ».

Et c’est aussi – avec le putsch, qui est sa déclinaison militaire – une discipline dans laquelle les États-Unis, en Amérique latine surtout (3), sont de très longue date passés maîtres, puisque cela fait plus de soixante ans qu’ils fomentent, à chaque fois ou presque qu’un gouvernement rétif à leur emprise se hisse au pouvoir dans l’un des pays de cette région du monde, son renversement, par des golpes – le plus souvent armés – dont le bilan cumulé, si l’on additionne les atrocités qui ont ainsi été perpétrées depuis le milieu des années 1950 en Argentine, au Chili, au Guatemala, au Salvador, etc., se monte à plusieurs centaines de milliers de morts.

De sorte qu’il y a tout de même (4) de quoi s’offusquer lorsque de nouveau l’Oncle Sam (5) applaudit à une tentative de renversement d’un régime latino-américain qui ne lui est pas tout acquis. À tout le moins, on peut nommer ces événements pour ce qu’ils sont. Or, au contraire, la presse française a été prise, dès leur annonce, d’une rare pudeur. Le Monde, par exemple, a réussi l’exploit de ne jamais parler de « coup d’État » dans les gros titres introduisant sa relation de ce qui se passait au Venezuela, et Le Figaro a, quant à lui, longuement ovationné « Juan Guaidó, le nouveau leader que l’opposition attendait ».

Mais il va de soi que ces acquiescements (et autres encouragements), si lourdement lestés, au fond, d’une très ancienne morgue coloniale, ne valent que pour des contextes exotiques, genre Tintin y los Picaros – de sorte que, si d’aventure Jean-Luc Mélenchon planifiait de s’autoproclamer après-demain président en exercice de la République française, faudrait pas non plus qu’il s’attende à bénéficier des mêmes enthousiasme et mansuétude des journalistes hexagonaux.

(1) Comme d’ailleurs son prédécesseur, M. Chavez, dont le règne s’est terminé de façon beaucoup plus préoccupante qu’il n’avait commencé.

(2) Joies du différé : à l’heure où j’écris ces lignes, son issue n’est pas connue. Nos journaux vont (pour la plupart) répétant que le Venezuela aurait « deux présidents » : c’est encore une façon d’acquiescer à ce coup de force.

(3) Mais pas que.

(4) Et quoi que l’on pense par ailleurs de la présidence quelque peu rebutante de Nicolás Maduro.

(5) Dont il est permis de supputer qu’il avait été informé ou prévenu par anticipation de cette sédition.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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