Jadot, l’écologie libérale ?

Tribune. Alain Lipietz, ancien eurodéputé (Vert), répond aux accusations à l’encontre du chef de file de la liste écologiste aux européennes d’être pour l’alliance avec la droite et l’économie de marché.

Alain Lipietz  • 25 avril 2019
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Jadot, l’écologie libérale ?
© crédit photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

De Benoît Hamon à Jean-Luc Mélenchon, c’est entendu : « Yannick Jadot veut l’alliance avec la droite, il est pour l’économie de marché. » Rhétorique bien naturelle, dans la lutte pour la légitimité d’une gauche issue de la sociale-démocratie, représentée par quatre listes dont les leaders (Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Delphine Batho et Olivier Faure) furent tous ministres ou député socialistes sous Jospin ou Hollande. Tous honorables écologistes : c’est en effet la seule solution d’avenir pour l’ancienne gauche. Victoire culturelle de l’écologie, portée pendant quarante ans, dans une solitude désespérante dont la planète et la jeunesse paient aujourd’hui le prix, par les Verts… Mais la condition d’une telle reconversion est justement l’élimination du Parti vert européen. Soit, ici, la liste Jadot.

Oublions cet aspect tactique, et prenons au sérieux les reproches adressés à Yannick Jadot, fondés sur deux petites phrases d’une interview au journal Le Point (1er mars). Il s’agit de choses sérieuses, pour l’Europe et pour l’écologie. Voici la première : « Bien entendu que les écologistes sont pour le commerce, la libre entreprise et l’innovation. » Et à la question : « Les Verts feront-ils partie de la majorité quadripartite avec le PPE, les libéraux et les sociaux-démocrates  ? » Yannick Jadot ne répond pas « Non ». Le voici donc habillé pour le printemps : il est pour l’alliance à droite et l’écologie de marché. Reprenant la tirade de Laurent Fabius contre Michel Rocard (Metz, 1979), tous nos ex-socialistes entonnent : « Entre le plan et le marché, Yannick Jadot, il y a l’écologie de gauche ! »

Construction d’une majorité d’idées… aussi vertes que possibles.

D’abord, cette « majorité ». Elle ne vaut à l’Europe que pour quelques semaines : le temps d’élire le président de la Commission. Après, le Parlement peut retoquer toutes les lois de l’exécutif, ils resteront face à face, il n’y a pas de « solidarité gouvernementale ». Mais pendant ces semaines, que de tractations !

En 2014, après la victoire de la droite européenne, la lutte opposait deux candidats, David Cameron et Jean-Claude Juncker. David Cameron, le père du Brexit, incarnait une Europe des nations réduite à une zone de libre-échange et la destruction de toute ambition commune, sociale et environnementale. Socialistes, centristes et Verts (et même, en coulisse la GUE – les communistes) avertirent qu’ils s’opposeraient à Cameron. Ils contraignirent la droite à présenter finalement Juncker.

Et en 2019 ? Le risque d’une majorité « illibérale » et nationaliste est réel (c’est même le seul argument d’Emmanuel Macron), surtout si les Brexiters participent aux élections. Yannick Jadot pose déjà les conditions des Verts : ils présenteront leur candidat (Ska Keller), mais accepteraient de voter finalement, comme en 2014, pour un candidat issu de la droite non nationaliste : « Nous poserons nos conditions. Si on nous propose un programme qui améliore substantiellement le fonctionnement de l’Union et les politiques européennes, alors, les Verts y apporteront leur soutien. » Et s’il faut préciser qui, il avance déjà : face à Orban, Barnier. « Il a démontré sa compétence. Il est droit. » Après ? Fin de la « majorité », et sur chaque vote construction d’une majorité d’idées… aussi vertes que possibles.

Protectionnisme vert

Venons-en au marché. Ainsi, nos amis sociaux-démocrates devenus écolos refuseraient « le commerce, la libre-entreprise et l’innovation » ? Ils sont donc pour une économie planifiée, comme celle qui a provoqué les deux grandes catastrophes écologiques du siècle passé : Tchernobyl et la mer d’Aral ? Non, bien sûr. Même La France insoumise ne reprend plus le Programme commun, la nationalisation de toutes les banques et grandes entreprises de François Mitterrand. La transition écologique reposera, tous le concèdent, sur trois secteurs économiques, un secteur marchand, un secteur public (mais avec représentation des salariés et des usagers à sa direction), un secteur d’économie sociale et solidaire.

Mais sur le secteur marchand, Yannick Jadot précise aussitôt : « Mais le commerce doit se construire dans le respect de chacun, des hommes et de la nature, et non pas en abusant de dumping environnemental, social ou fiscal. » Le Point le titille sur le commerce international. Et là, le Vert lâche le gros mot (que tous reprendront au débat de France 2) : « J’assume d’être pour un protectionnisme vert. Un protectionnisme qui prévoit une taxe carbone aux frontières extérieures de l’UE pour les importations provenant de pays où les entreprises ne font pas l’effort de s’aligner sur l’accord de Paris. De la même façon, je propose que l’Europe décrète que les produits des pays qui ne respectent pas la liberté syndicale soient fortement taxés ou interdits de territoire européen. C’est la protection des salariés ici et là-bas. » Le marché ne peut être plié aux contraintes écologiques et à la justice sociale que moyennant des lois strictes, et disons-le… « punitives ».

Une écologie libérale, vraiment ?

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