« Hors la loi », de Pauline Bureau : avant Veil

Pour sa première création à la Comédie-Française, Pauline Bureau revient sur le procès de Bobigny (1972), étape majeure vers la légalisation de l’avortement.

Anaïs Heluin  • 4 juin 2019 abonné·es
« Hors la loi », de Pauline Bureau : avant Veil
© crédit photo : Brigitte Enguérand, coll.C

La construction du genre en général, féminin en particulier, est pour Pauline Bureau l’objet d’une réflexion de longue date. Depuis Modèles (2010), fruit d’une écriture collective, la comédienne et metteuse en scène explore ce riche sujet. Imaginant pour chaque création un processus de travail singulier, elle utilise l’espace scénique afin de dire la grande diversité d’expériences, de trajectoires qu’englobe le mot utilisé pour désigner toute une moitié de l’humanité. Après Mon cœur (2017), où elle aborde le scandale du Mediator à travers la figure de la lanceuse d’alerte Irène Frachon, c’est à un combat plus ancien qu’elle s’intéresse dans Hors la loi, sa première création à la Comédie-Française. Celui de Marie-Claire Chevalier, qui avorte clandestinement en 1971 à l’âge de 16 ans, et de l’avocate Gisèle Halimi, qui fait du procès de la jeune fille un événement dans l’histoire du droit des femmes.

« Pour toujours j’ai 15 ans. » Dès ces premiers mots prononcés à mi-voix, Martine Chevallier nous plonge dans le passé de sa presque homonyme. De la même génération que son personnage, la comédienne s’est approprié le témoignage recueilli par Pauline Bureau afin de « redonner du vivant à ce qui a été ». D’autant plus librement que son héroïne est tombée dans un quasi-oubli après le procès de Bobigny, qui met en lumière la violence d’une loi de 1920 encore en application à l’époque, qui faisait de l’avortement un crime, dénoncée peu de temps auparavant par le fameux « Manifeste des 343 », où des femmes déclaraient avoir eu recours à l’interdit. Où elles réclamaient le droit de disposer de leur corps.

Nourri d’un important travail d’entretiens et de documentation, Hors la loi prend aussi largement appui sur la sensibilité, sur le vécu des comédiens. Si Pauline Bureau a choisi de s’emparer du procès de Bobigny, c’est d’ailleurs pour la troupe du Français. Afin de « raconter une page de l’histoire des femmes dans ce lieu d’histoire » qu’est la Comédie-Française, dit-elle dans le dossier de presse de Hors la loi. Sa pièce a ainsi beau être très documentée, surtout dans la partie du procès où interviennent des figures célèbres du passé telles que l’actrice Delphine Seyrig, Gisèle Halimi ou encore Simone Veil – sa loi autorisant l’avortement est votée deux ans plus tard, en 1974 –, elle ne cesse jamais d’être traversée par une énergie actuelle. Ni de susciter une double réflexion sur les traces laissées par le passé proche évoqué dans la pièce. Et sur la capacité du théâtre à en faire un matériau de questionnement du présent.

Hors la loi, Vieux-Colombier, Paris VIe, 01 44 58 15 15, comedie-francaise.fr. Jusqu’au 7 juillet.

Théâtre
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