Décrypter le « sens commun » libéral

Un _Manuel indocile_ questionne les prétendues évidences distillées par les partisans du grand bond en arrière idéologique.

Olivier Doubre  • 4 septembre 2019 abonné·es
Décrypter le « sens commun » libéral
© photo : Lors du contre-G7, le 25 août à Bayonne. crédit : Bertrand GUAY/AFP

R établir l’équilibre ». C’est l’objet annoncé, dès la première page, de ce « manuel mosaïque » qui est aussi une somme pluridisciplinaire : exposer « les connaissances balayées par les bien-pensants » et « ce sens du normal qui dispose à s’ajuster à l’entreprise privée, aux classements scolaires, au marché du travail dérégulé, aux obéissances, à l’impératif de croissance économique, à une vision réjouie du régime politique en place – entre autres ».

Depuis longtemps, en effet, « universitaires distingués », « hauts fonctionnaires férus d’entreprise ou préposés à l’ordre », mais aussi économistes non critiques et autres « décideurs » ou « leaders d’opinion », distillent « leur » vérité, « liée aux positions installées qu’ils tiennent, qui les tiennent, et qu’ils travaillent à promouvoir ou à conserver ».

Exit ainsi des programmes d’enseignement et de la pensée dominante toutes les formes de mise en question du « sens commun en usage dans le monde tel qu’il va ». Ce manuel œuvre au contraire à leur redonner voix au chapitre – ce à quoi on pouvait évidemment s’attendre de la part de la Fondation Copernic. Face au rouleau compresseur idéologique néolibéral, il s’agit de dénoncer la « cécité intéressée, l’ode au monde actuel qui valorise ceux qui en bénéficient » et « ces programmes [qui] éliminent les analyses des relations de pouvoir autant que l’étude des diverses formes de domination, de violence, d’inégalité, de discriminations conjuguées et redoublées ».

L’importance de ce projet ambitieux, qui « en tout point s’oppose aux manuels officiels », comme l’affirment avec force ses deux coordinateurs, les sociologues (et dirigeants de la Fondation Copernic) Philippe Boursier et Willy Pelletier, tient d’abord dans sa volonté d’« exposer avec des mots simples ce qui est censuré ». En rappelant que les sciences sociales sont critiques depuis leurs origines, depuis Max Weber et Émile Durkheim, les auteurs affirment que « l’indocilité [leur] est constitutive ». Avec quelque 130 chercheurs, enseignants, militants ou « salariés ordinaires », ils multiplient les approches pour mieux décrypter notre monde – avec en base de page un « lexique de désenfumage » explicitant (avec ironie parfois) les termes les plus spécialisés ou couramment usités par nos « élites » socio-économiques.

Inégalités sociales et de genre, discriminations raciales et sexuelles, concentration des capitaux financiers et culturels, protections sociales dépecées, collusions entre puissants formés aux mêmes écoles de pensée néolibérale, etc. y sont ainsi passées au crible. On notera enfin plusieurs articles sur le saccage de la planète dû au productivisme capitaliste. Un ouvrage déjà de référence.

Manuel indocile de sciences sociales. Pour des savoirs résistants, Fondation Copernic (coordonné par Philippe Boursier et Willy Pelletier), La Découverte, 1 056 pages, 25 euros.

Idées
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