Estellia Araez, 44 ans, avocate, présidente du Syndicat des avocats de France

« On prive certains citoyens de l’accès à la justice, parce que le faible enjeu économique de leurs litiges n’intéresse personne. »

Nadia Sweeny  • 4 décembre 2019 abonné·es
Estellia Araez, 44 ans, avocate, présidente du Syndicat des avocats de France
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Je suis devenue avocate pour défendre ceux qui ne pouvaient le faire eux-mêmes », affirme sans sourciller Estellia Araez, 44 ans. Alors le droit du travail s’est imposé comme une évidence. « Je défends les salariés : la partie faible au contrat. Ils renoncent de plus en plus à faire valoir leurs droits, et c’est pire depuis la barémisation des dommages et intérêts. » Un accroc de plus à une justice qu’elle défend depuis son entrée au barreau en 2004. Elle démarre sa carrière en tant que collaboratrice dans un cabinet – obligation à l’époque, abrogée depuis – et son dernier employeur rompt le contrat après sa première grossesse. « L’aspect positif, c’est que je me suis mise à mon compte. » Mais le métier est exigeant. « Pas toujours évident de défendre les dossiers qui nous tiennent à cœur et de trouver un équilibre économique : on paye cher nos engagements et notre liberté », admet-elle, sans regrets.

En revanche, Estellia déplore une bascule dans la profession. « Nous ne sommes pas des prestataires de services à la recherche de business models pour développer de nouveaux marchés ! lance-t-elle. Les avocats exercent une fonction sociale essentielle : ils participent au fonctionnement d’une société démocratique, qui doit garantir l’égalité des droits et les libertés publiques. » Les dernières réformes, qui éloignent du juge les « petits contentieux », l’inquiètent : « Sous le prétexte de désengorger les tribunaux, on prive certains citoyens de l’accès à la justice, parce que le faible enjeu économique de leurs litiges n’intéresse personne. Ça les conduira à ne plus faire valoir leurs droits ou à se faire justice eux-mêmes… »

Dans ce contexte, la réforme des retraites fragilise encore un peu plus les acteurs de la justice. « Notre régime actuel permet à chacun, quels que soient ses revenus antérieurs, qu’on ait travaillé à l’aide juridictionnelle ou qu’on soit tombé malade, d’avoir 1 416 euros de retraite minium. » Avec la réforme, c’est fini. Les cotisations vont augmenter et les pensions fondre. Pourtant, « notre caisse, excédentaire, participe à la solidarité nationale et reverse 98 millions d’euros par an aux régimes en déséquilibre », plaide l’avocate.

Vent debout contre cette réforme, elle défilera aux côtés des magistrats, des greffiers, de la protection judiciaire de la jeunesse et des agents de la pénitentiaire, contre la casse du service public de la justice, dernier maillon de la chaîne républicaine : « Affaiblir la justice, c’est affaiblir la démocratie. »

Économie Travail
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