Retraites : La macronie sous pression

Le passage en force de la réforme sème le malaise au sein de la majorité. L’opposition pointe la précipitation et l’amateurisme.

Erwan Manac'h  • 29 janvier 2020 abonné·es
Retraites : La macronie sous pression
© Yoan VALAT/POOL/AFP

Après avoir baladé les partenaires sociaux et ignoré la rue, le pouvoir s’apprête à brutaliser les institutions avec sa réforme des retraites. Cela a commencé avec le Conseil d’État, qui n’a pas caché son agacement face à la tournure que prennent les événements. Furieuse d’avoir dû travailler dans l’urgence sur un texte colossal dont l’impact sur le modèle social français reste difficile à mesurer, l’institution s’exaspère du flou ambiant – 29 ordonnances sont prévues dans le texte de loi – et d’une étude d’impact « lacunaire » qui transpire l’impréparation. Son avis ne sera pas contraignant, hormis pour les profs, dont la promesse d’augmentation de salaire devait être gravée dans le marbre, ce qui constitue aux yeux du Conseil d’État une obligation à légiférer, non conforme à la Constitution.

Le texte, ainsi frappé du sceau de l’amateurisme, vient d’atterrir sur le bureau d’une commission spéciale de 70 députés. La droite et la gauche ont immédiatement interpellé « solennellement » le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, pour lui demander de ralentir la course folle de ce mammouth législatif qui fait trembler les murs du Parlement. La procédure d’urgence est déclenchée et l’opposition n’aura que très peu de temps pour déposer des amendements et un temps de parole limité dans l’hémicycle. « Ces conditions de travail sont inadmissibles et ne peuvent que nous inspirer de la honte vis-à-vis de celles et de ceux qui nous ont confié l’honneur exigeant de les représenter », écrivaient le 26 janvier une ribambelle de parlementaires PS, PCF, LFI et ex-LREM, s’offusquant d’une « démocratie expéditive ». Ils étudient tous les moyens à leur portée (avalanche d’amendements, motion de censure, motion de référendum) pour tenter d’arracher un peu de temps démocratique et freiner l’examen du texte en séance plénière, qui doit débuter le 17 février pour au moins deux semaines.

La majorité a nommé une équipe de 7 rapporteurs (5 LREM, 1 MoDem, 1 Agir), afin de saucissonner le texte, d’une technicité hors pair. À leur tête, Guillaume Gouffier-Cha, transfuge du PS sans grande expérience du sujet des retraites, ne masque pas une certaine appréhension. « Je le reconnais, c’est un débat qui est difficile, mais cette réforme, nous devons la faire. Trop nombreux ont été ceux qui ont abandonné. » Sur plus d’un point de détail, le député LREM semble toutefois garder plus de questions que de réponses : que va devenir la promesse de revalorisation des profs ? Le parlementaire a « besoin de savoir quand la loi de programmation [fixant leurs salaires] arrivera » à l’Assemblée. Au sujet de la perte de 46 milliards d’euros du régime de retraites, du fait de la baisse des cotisations patronales dans la fonction publique ? Il « n’envisage pas un seul instant » que l’État se dérobe, mais ignore la forme que prendra la compensation. Sur le sort des chômeurs en fin de droits de 62 ans qui risquent de se retrouver propulsés à la retraite avec une décote ? Il dit avoir conscience du problème, sans pouvoir y répondre. Plus Macron fonce, plus la macronie s’enfonce.

En parallèle, la conférence de financement qui s’ouvre ce 30 janvier, dont la mission sera de trouver 12 à 15 milliards d’économies par an à partir de 2025, a toutes les chances de tourner au vinaigre. Édouard Philippe fonde très peu d’espoir sur cet épisode dont le scénario semble écrit d’avance, avec un gouvernement qui a l’habitude de nier les rapports de force qui travaillent le pays. Par-dessus tout, le calcul électoral d’Emmanuel Macron semble entendu. Grâce à une extrême droite plus forte que jamais, conforter sa base lui suffit pour espérer renouveler le hold-upde 2017, même si son crédit politique s’amenuise et que sa politique sème la colère. Brutaliser l’opinion, éprouver sa majorité et braquer le Parlement demeure néanmoins un jeu dangereux, pour lui comme pour l’équilibre démocratique du pays.

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