« Chez Airbus on nous dit qu’il faut faire des sacrifices pour sauver l’usine »

Aujourd’hui dans #lesdéconfiné·es, Marc*, la quarantaine, est obligé d’aller travailler à l’usine Airbus de Marignane, la peur et la colère au ventre.

Nadia Sweeny  • 31 mars 2020
Partager :
« Chez Airbus on nous dit qu’il faut faire des sacrifices pour sauver l’usine »
© photo : BERTRAND LANGLOIS / AFP

Je travaille au service de révision des rotors d’hélicoptère à l’usine Airbus-Marignane. La première semaine du confinement, le groupe avait fermé l’usine pour faire des aménagements. Ils l’ont rouverte la semaine d’après. Une pissotière sur deux a été condamnée pour pas qu’on soit trop près. Ils ont accroché des câbles aux poignées de porte pour éviter qu’on mette nos mains dessus : on doit glisser le bras dans la boucle. Les machines à café ont été condamnées aussi et on a un bidon de désinfectant et un chiffon pour nettoyer nous-mêmes notre poste de travail.

Désormais deux grands groupes travaillent en horaires décalés sans jamais se croiser. On fait les 2X8 : une semaine 6h30-13h30 et la semaine d’après 14h30–21h. Ça faisait trois ans que j’avais arrêté ce rythme épuisant. Là, on n’a pas le choix.

Cette semaine, je suis du matin. J’ai une heure de trajet. Je dois prendre un train et marcher dix minutes de la gare jusqu’à l’usine : la navette a été supprimée. En arrivant, on est une quarantaine à faire la queue aux vestiaires. Même si on ne peut plus entrer tous en même temps, on se retrouve à trois ou quatre dans un petit espace confiné.

#Lesdéconfiné·es, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.
Au début, la direction nous avait dit qu’on n’était pas là pour faire du rendement, en équipe réduite et obligé nettoyer chacune de nos pièces et de nos outils : le travail est forcément ralenti. Mais au fil des jours, la pression a augmenté. À la fin de chaque journée, on continue de cocher, dans un logiciel, toutes les opérations accomplies.

Chaque opération correspond à un temps imparti. En milieu de semaine, on a repris les réunions d’équipe matinales et dès la fin de semaine, la première question posée c’était de nouveau : « Vous en êtes où ? »

Ils continuent de nous juger sur le même timing qu’avant. La logique de rendement est revenue très vite.

On sait qu’il y a déjà des cas de Covid dans l’usine, mais on ne sait pas combien, ni qui ni dans quelle équipe. Pour le moment, je n’ai pas entendu que l’une d’entre elles ait été confinée. Dans l’usine, la tension et la colère sont palpables. On n’a pas envie d’être là. La mécanique dont on s’occupe est essentiellement réservée aux armées et aux plateformes pétrolières : on n’est pas un secteur vital. Mais nos patrons nous ont dit : « Il faut faire des sacrifices pour sauver l’usine. » Ils nous répètent qu’on prend autant de risques à aller à la boulangerie qu’à venir au travail… Il n’y a pas de discussion possible avec eux. On doit aller bosser et c’est tout.

Santé Société
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Dans 56 journaux télévisés, moins de 3 minutes sur Gaza
Palestine 12 novembre 2025 abonné·es

Dans 56 journaux télévisés, moins de 3 minutes sur Gaza

Un mois après le « plan de paix » signé sous l’impulsion de Donald Trump, Benyamin Netanyahou a relancé les bombardements sur Gaza, en violation de l’accord. Depuis trois semaines, les médias français semblent passer sous silence la reprise de l’offensive israélienne.
Par Kamélia Ouaïssa
« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés »
Palestine 11 novembre 2025

« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés »

Jeudi 6 novembre, le collectif Palestine Action France a perturbé la tenue du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris. Des militants se sont fait violemment frapper par des spectateurs. Pour la première fois, une participante prend la parole pour expliquer sa version des faits.
Par Pierre Jequier-Zalc
Philharmonie de Paris : le contenu des deux plaintes pour violence volontaire
Révélations 10 novembre 2025

Philharmonie de Paris : le contenu des deux plaintes pour violence volontaire

Lors de l’action contre la tenue du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris, jeudi 6 novembre, deux militants propalestiniens se sont violemment faits frapper. Blessés, ils ont porté plainte pour violence volontaire.
Par Pauline Migevant et Pierre Jequier-Zalc
Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes
Enquête 5 novembre 2025 abonné·es

Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes

Une plainte pour « abus d’autorité » a été déposée contre le préfet des Hautes-Alpes par une famille expulsée illégalement en septembre. Celle-ci était revenue en  France traumatisée et la mère avait fait une fausse couche, attribuée au stress causé par l’expulsion.
Par Pauline Migevant