« Conduire un bus dans ces conditions, c’est comme aller à Tchernobyl sans protection »

Aujourd’hui dans #lesdéconfinés, Stéphane, chauffeur de bus RATP. Il a continué de conduire jusqu’à ce qu’il tombe malade, jeudi 26 mars, alors qu’il dénonçait depuis des semaines le manque de protection.

Nadia Sweeny  • 30 mars 2020
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« Conduire un bus dans ces conditions, c’est comme aller à Tchernobyl sans protection »
© Photo d'illustration : Michel Soudais / Politis

Je suis en arrêt maladie depuis jeudi 26 mars : j’ai de la fièvre. Je suis chauffeur de bus et je dépends du dépôt RATP de Belliard dans le 18e arrondissement de Paris. Nous sommes un millier de salariés et notre direction ne nous a pas prévenus que toute la famille d’un collègue était contaminée. Ce collègue ne s’est pas mis en arrêt. On a travaillé ensemble toute une matinée. Cinq jours plus tard, je suis tombé malade. Aujourd’hui, je croise les doigts.

Je conduisais le Roissybus entre Opéra et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. En période normale, c’est plus d’une heure de trajet. On transporte beaucoup de touristes et nos bus sont souvent bien remplis. C’est pour ça, que dès la propagation du virus, juste après la grève, on a demandé des protections. La direction nous a parlé de kits qui ne sont jamais arrivés.

#Lesdéconfinés, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.
Dès le début du mois de mars, j’ai demandé à ne plus toucher la monnaie. La direction m’a menacé d’un entretien disciplinaire pour refus de vente. J’ai donc décidé de venir avec mon propre matériel, gants et masques. La direction est venue me rappeler la réglementation sur l’interdiction de dissimulation du visage et m’a menacé d’un autre entretien disciplinaire. On a donc décidé de rouler avec la vitre anti-agression remontée. Ils n’aiment pas ça : ce n’est pas commercial. Mais comme on l’a fait en masse, ils n’ont pas pu dire grand-chose. Quand l’Italie a vraiment pris l’eau et que la France a commencé à se confiner, la direction a accepté de nous faire rouler en condamnant l’avant du bus avec une rubalise, pour éviter les contacts. Les gens rentraient à l’arrière.

Mais jusqu’à ce que je m’arrête, on n’avait toujours pas de gants ni de masque. Ils nous ont donné quatre lingettes désinfectantes par jour pour notre poste de travail : mais ce n’est pas suffisant parce qu’on sort et on entre plusieurs fois par jour. Au Roissybus, nous n’avons pas de terminus, pas d’accès à des sanitaires. Il a fallu attendre le lundi 23 pour qu’ils mettent en place un « kit d’intervention », avec des masques à n’utiliser que face à un voyageur malade. On nous a donné deux masques : l’un pour nous, l’autre pour le voyageur suspect, et on n’a pas le droit de les utiliser en dehors de ce cas précis. Moi, je suis chauffeur de bus, je ne suis pas médecin… et puis plein de gens sont contagieux et ça ne se voit pas. C’est absurde !

Ils ont aussi mis en place la désinfection des bus au moment où nous, à Roissybus, on roulait déjà à vide. C’était trop tard. En revanche, ça peut servir aux 20 lignes laissées ouvertes notamment pour le personnel soignant. Mais il faut désinfecter les bus à chaque terminus pour que ça soit efficace. Or, là, ils ne le font qu’une fois par jour. Avant de tomber malade, ils m’ont demandé si j’étais volontaire pour conduire ces bus. J’ai refusé. Conduire un bus dans ces conditions, c’est nous demander d’aller à Tchernobyl sans protection.

Santé Société
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