La paille et la poutre

Bougez-vous, les Allemand·es. Parce que nous, le combat contre le poison de la haine xénophobe, pardon, mais ça nous connaît un peu.

Sébastien Fontenelle  • 4 mars 2020 abonné·es
La paille et la poutre
© BORIS ROESSLER / DPA / dpa Picture-Alliance / AFP

Dans les jours qui ont suivi l’attentat raciste perpétré à Hanau, le 19 février, le journal Le Monde a prodigué force conseils à l’Allemagne endeuillée (1). Comme celui-ci, par exemple : « Les acteurs publics du pays doivent passer à l’offensive pour combattre le poison de la haine xénophobe. »

C’est vrai, quoi : bougez-vous, les Allemand·es. Faites comme nous – parce que nous, le combat contre le poison de la haine xénophobe, pardon, mais ça nous connaît un peu.

Chez nous, quand l’essayiste Alain Finkielkraut bascule dans une exaltation identitaire qui lui fait d’abord proférer en 2005 que l’équipe de France de football est « black, black, black » et que ça fait « ricaner l’Europe entière », puis, au fil des ans (2), une interminable série d’autres insanités, on lui file un fauteuil à l’Académie française et on lui conserve son émission hebdomadaire chez France Culture, où il invite son cher « ami » Renaud Camus, inventeur de la fantasmagorie du « grand remplacement », condamné pour provocation à la haine – mais qui selon Finkielkraut a quand même bien raison de s’inquiéter de ce que tant de « Français vivent à Saint-Denis, Sevran, La Courneuve, Tourcoing et même dans certains quartiers de Paris comme dans une terre étrangère », et de s’alarmer du « remplacisme global qui consiste à vouloir compenser par l’immigration la baisse de fécondité des pays d’Europe ».

Chez nous, quand le journaliste du Figaro Éric Zemmour, lui aussi condamné pour provocation à la haine, déroule des atrocités à la tribune d’une « convention de la droite » extrême, on lui confie une émission sur une chaîne dite « d’info », durant laquelle, quatre fois par semaine, il expectore d’autres infamies, et où il invite notamment Alain Finkielkraut – qui l’avait lui-même reçu, quelque temps auparavant, dans l’émission qu’il continue donc d’animer sur France Culture.

Chez nous enfin, en septembre dernier, Le Monde, pleinement investi donc dans le combat où il vous exhorte à vous lancer, a publié un « long entretien particulièrement complaisant (3) » avec le même Finkielkraut – puis, deux mois plus tard, lui a de nouveau offert une généreuse tribune, dans le cadre, cette fois-ci, d’un « forum philo » durant lequel ce triste personnage a de nouveau pu faire l’étalage de ses sinistres obsessions : c’est sans doute ce qui explique pourquoi ce « journal de référence » se sent désormais autorisé à vous distribuer de vigoureuses leçons de maintien antiraciste.

(1) Qui a, selon une tribune publiée par ce même quotidien, « produit son propre aveuglement face à l’extrême droite ».

(2) Et lorsqu’il n’est pas occupé à vérifier si MM. Polanski et Matzneff ne pourraient pas se voir concéder quelque circonstance atténuante.

(3) Ugo Palheta, « Hanau, le terrorisme d’extrême droite et l’imprégnation fasciste », 25 février 2020. On ne saurait trop recommander la lecture de ce texte sur le blog de l’auteur, consultable sur Mediapart.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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