Mineurs isolés étrangers : « Les oubliés confinés dehors ont faim, peur et ne savent pas où aller »

Agathe Nadimi, militante solidaire, raconte la réalité des mineurs isolés étrangers et des bénévoles qui les aident dans les rues de Paris en cette période de confinement sanitaire.

Agathe Nadimi  • 11 avril 2020
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Mineurs isolés étrangers : « Les oubliés confinés dehors ont faim, peur et ne savent pas où aller »
© PHOTO : Gymnase accueillant des migrants (Paris) STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Dès l’annonce du confinement, nous avons fait en sorte que toutes les mesures de prévention d’usage soient appliquées lors des déjeuners. La partie de foot prévue ce jour-là a pris des allures de réunion d’information préventive. Aucun jeune ne pouvait passer par la table sans s’être lavé les mains.

Depuis 2016, Agathe Nadimi consacre son temps libre à aider les mineurs isolés étrangers, délaissés par le Demie, Dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers, situé dans le XIe arrondissement de Paris. Géré par la Croix-Rouge, ce Demie est le point de passage obligatoire pour tous les mineurs isolés étrangers (MIE) afin d’être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Cette professeure en études supérieures (fac, écoles de commerce et de tourisme) a crée le collectif Les midis du MIE, qui effectue régulièrement des maraudes, des distributions alimentaires et matérielles au jardin Palikao et dans le secteur de Couronnes. Depuis l'annonce du confinement, les bénévoles se sont adapté·es pour continuer à les aider, les informer, les héberger. Mais une question revient inlassablement : est-ce aux associations de trouver des solutions pour ne pas laisser des mineurs dormir dehors, de payer les réservations d'hôtel chaque nuit ?
Du savon liquide était laissé en libre-service près de la fontaine du jardin et nous avons fait un gros stock de gants à usage unique. C’était notre dernier déjeuner pour eux avant un long moment. Il faisait beau, la table ressemblait à un banquet, et on leur a fait découvrir le mölkky. On a eu bien du mal à se quitter. Beaucoup m’ont dit :

Pour des raisons évidentes de logistique liées aux mesures de confinement, il était impossible de continuer l’hébergement collectif que nous avons mis en place depuis quelques mois, au gré des lieux qu’on nous prêtait. La course à la recherche aux chambres d’hôtel s’est donc enclenchée. Nous avons réussi à installer quatorze jeunes, venant rejoindre les autres sortis de la rue les mois précédents. Plus de 150 mineurs ont trouvé un hébergement. Une équipe de bénévoles coordonne, une autre déménage, accompagne, installe vers l’hôtel, une troisième assure comme chaque matin la maraude aux abords de La Croix-Rouge.

Vous allez revenir ici, vous allez continuer à nous donner à manger, sinon il nous reste plus rien. On va mourir seul, peut-être dans la rue, de faim ou à cause du virus…

Une semaine après le début du confinement, mon téléphone a sonné avec insistance. « Bonjour madame, je suis Ahmed j’espère que tu te rappelles de moi, c’était il y a longtemps, tu ne m’avais pas laissé dehors, maintenant pour moi ça va bien. Je t’appelle, je suis avec un jeune. Il a été refusé par la Croix-Rouge et il est dehors. Tu peux lui trouver un endroit pour dormir ? » La réalité, c’est que les oubliés confinés dehors ont faim, ont peur et ne savent pas où aller. Il paraît même que la police les chasse d’un endroit dehors pour aller chercher d’autres endroits dehors. Il ne faut pas que ça se voit.

Aujourd’hui encore, huit de nos jeunes ont besoin d’un toit après avoir dû quitter leur hôtel soudainement. Dès que nous l’avons su, nous avons informé la Mairie de Paris puis les avons relancés à plusieurs reprises. La voiture pleine de leurs affaires attendait avec impatience la nouvelle destination. Aucun appel, aucune solution n’est arrivée. Ne pouvant pas rester des heures dehors avec ces jeunes, dont certains ont 15 ans, nous avons cherché une alternative. Trouver huit places d’hébergement en pleine crise sanitaire serait donc mission impossible pour la Mairie de Paris ? Nos huit jeunes dessinent des maisons, nous remercient. Nous, nous attendons une réponse, une solution pérenne et nous enrageons depuis quinze jours.

© Politis
Photo : dessins réalisés par des jeunes aidés par le collectif. A.Nadimi

J’entends le Président donner des leçons et expliquer : « Vous ne vous protégez pas vous-même et vous ne protégez pas les personnes vulnérables… » La solidarité, paraît-il, est aussi le mot d’ordre de la gestion de la crise. On est là. Aidez-nous à continuer. Nous ne voulons, ne pouvons pas arrêter nos actions sans qu’un relais gouvernemental se manifeste.

Face à l’indifférence des institutions, nous nous sommes organisés « entre nous ». Des cuisines aux coffres des voitures, des marmites aux barquettes, des visites dans les hôtels aux maraudes dans les rues… Deux fois par semaine, nos ami·es de L’Assiette migrante{: target= »blank » style= »font-family: inherit; background-color: rgb(255, 255, 255); » } cuisinent et apportent des plats chauds le soir et des petits déjeuners en renfort dans les hôtels où nous suivons des jeunes. Tous les jours, l’association Ernest{: target= »blank » style= »font-family: inherit; background-color: rgb(255, 255, 255); » } assure les repas depuis la cuisine des Grands Voisins, dans le XIVe arrondissement de Paris. Chaque jeudi soir, comme depuis des années, nos amis de Solidarité et Partage Jouy Le Moutier{: target= »_blank » style= »font-family: inherit; background-color: rgb(255, 255, 255); » } nous livrent de quoi remplir les ventres vides le lendemain.

Nous nous occupons des repas mais aussi de toutes les petites demandes individuelles qui apportent un peu de plaisir quand on se retrouve confiné dans une petite chambre d’hôtel. Un petit sac par chambre avec le nécessaire pour le petit déjeuner, les repas, du produit vaisselle, une éponge, des sticks pour les lèvres demandés la veille, des sacs poubelle et des petites attentions : nouveaux jeux de société, du nécessaire à dessins, des livres par dizaines, des tubes de dentifrice pour les uns, la sauce préférée pour l’autre, des caleçons neufs pour chacun… Chaque jour, on s’assure que rien ne manque, arrivons les bras chargés, repartons avec le linge sale à laver.

© Politis
Photo : Coffre plein pour un nouveau ravitaillement. A.Nadimi

Du 16 mars au 9 avril, nous avons dépensé : 8.428€ en frais de chambres d’hôtel et 4.356,17 € en ravitaillement alimentaire de première nécessité, achat de produits d’hygiène et en recharges de crédit téléphonique pour les jeunes des différents hôtels. Plus que jamais, nous estimons que ce n’est plus à nous de le faire, que la Mairie de Paris, l’État doivent prendre leurs responsabilités. Mais nous constatons que malgré nos alertes et différentes actions depuis plus de trois semaines maintenant, aucune solution n’est apportée. L’indifférence pour les personnes que l’on aide et pour nous qui aidons est inacceptable.

Malgré une immense générosité, cette fois les dons ne suffisent plus. Nous avons été obligés de faire appel à des fondations et en regardant le prévisionnel, même cela n’est pas suffisant. Nous sommes en train d’imaginer d’autre solutions plus confortables pour les jeunes qui étouffent dans leurs petites chambres d’hôtel. Peut-être des appartements prêtés pour les plus autonomes mais nous avons bien du mal à le faire tant nous continuons d’espérer une solution institutionnelle.

Une cagnotte en ligne à retrouver ici.

« Evalué mineur ou majeur, chaque jeune qui le demande sera mis à l’abri. » C’est ce qu’a affirmé Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’enfance, le 22 mars. À Paris, la Mairie a décidé d’ouvrir le gymnase Japy pour accueillir les mineurs isolés. Sur le terrain, les associations ne peuvent que constater que la réalité est tout autre. En effet, ce gymnase n’est accessible que sur orientation d’un commissariat et tous ne sont manifestement pas au courant de la procédure. De plus, des signalements de mineurs à la rue continuent à nous parvenir.

Plusieurs associations dont la nôtre ont pris l’initiative de faire héberger dans des hôtels un nombre important de MIE afin d’assurer leur confinement. Mais les conditions sanitaires de ces hébergements ne répondent pas à la nécessité de protéger les jeunes et les bénévoles qui leur viennent en aide. Certains MIE ayant dû être évacués vers des centres de traitement du Covid-19. Les associations sont prêtes à prêter main-forte aux services de l’Etat pour trouver une solution concrète d’hébergement mais elles ne pourront assumer plus longtemps les devoirs qui incombent aux représentants de la République.

À lire aussi >> L’appel pour un Etat d’urgence sanitaire : « Nous exigeons ! »

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