Écouter Grup Yorum

Notre Voyage autour de nos chambres #47 rend hommage au Grup Yorum. Cette formation musicale turque engagée vient de perdre en l’espace d’un mois deux de ses membres décédé·es au bout d’une grève de la faim engagée en mai 2019 pour protester contre la persécution dont le groupe est victime depuis des années de la part du régime Erdogan.

Patrick Piro  • 11 mai 2020
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Écouter Grup Yorum
© concert de Grup Yorum à Izmir, juin 2015. Photo Grup Yorum

Je ne connaissais pas Grup Yorum avant de lire les excellents articles de Chloé Dubois (1). Terrible nouvelle, début avril, que celle du décès d’Helin Bölek, l’une des chanteuses de ce groupe musical turc, épuisée par 288 jours de grève de la faim. Et puis un mois plus tard, jeudi dernier, c’était au tour du bassiste Ibrahim Gökçek. Alors que toute l’information tourne, en France, autour du déconfinement et de ses tracasseries (bien réelles, certes), j’ai ressenti une manière de « haut le cœur », mélange de lassitude envers notre nombrilisme, et envie de l’élever, le cœur. En guise d’hommage, aller à la rencontre de ces personnes et de leur musique, dans ce pays où la volonté d’un despote, non pas de confiner mais d’écrabouiller, a suscité de la part de ces artistes engagé·es une insoumission aussi terrifiante que le choix d’une grève de la faim « à la mort ».

Grup Yorum fait partie de ces formations qui ne meurent pas, en perpétuelle réalimentation de leurs membres. Né en 1985, il a depuis produit 23 albums, vendus à plus de 2 millions d’exemplaires. Ses concerts drainent (quand ils ne sont pas interdits) des foules de plusieurs dizaines de milliers de fans, au-delà de ce qu’aucun groupe n’a jamais réuni en Turquie.

Son style rappelle celui des formations latinos, telle que Quilapayún (Chili), que la France a connue dans les années 1970 et 1980, alors que le continent sud-américain suffoquait sous les dictatures. Grup Yorum joue une musique engagée à dominante instrumentale et folk, au service de chansons « à paroles ».

Grup Yorum chante en turc Bella Ciao, l’hymne des partisans italien. Istanbul, 2010

Nous avons un style bien à nous. En Turquie, les gens disent que nous sommes des « chasses-neige » parce que nous ouvrons des chemins difficiles. Ce qui nous importe, dans le choix de nos thèmes, ce sont les difficultés vécues par les classes populaires,

décrit la chanteuse Selma Altın, aujourd’hui réfugiée en France. Les conditions de travail dans les mines, le mal-logement, le chômage, les conditions des minorités, l’écologie, les massacres perpétrés par l’armée. C’est aussi par d’autres choix artistiques que s’exprime le message. La formation s’exprime aussi bien en turc qu’en idiomes minoritaires dans le pays — arabe, circassien (2), kurde. Yorum valorise également des instruments de musique à vent et cordes traditionnels de l’arrière-pays turc, créateur d’une langue artistique propre « afin de lutter contre la répression culturelle ». Le pianiste İnan Altın, lui aussi réfugié à Paris, explique les raisons de la popularité du groupe par cette « esthétique » développée autour des conditions de vie du peuple, mais aussi par son éthique collective.

Nous ne restons pas immobiles face à la répression, nos existences sont cohérentes avec ce que nous chantons, et nous participons activement à la lutte, dans les manifestations, etc.

İlle Kavga, « Lutter quoi qu’il arrive », dernier album en date de Grup Yorum illustré par leurs instruments saccagés par la police.

Entre autres moyens de résistance, Yorum a toujours su s’organiser face aux violences du pouvoir et au harcèlement judiciaire. Les albums censurés sont distribués clandestinement. Quand les concerts sont interdits, le groupe chante dans les rues, sur les toits des immeubles ou via Internet. En juin 2015, Joan Baez est montée sur scène à Istanbul pour faire chanter le public de Grup Yorum. Avant de brandir une guitare pantelante, l’un des nombreux instruments que les fréquentes descentes de police ont brisés. Mais pas Grup Yorum.

Et ici une liste de chansons de Grup Yorum.

(1) Que je remercie pour les citations et informations qu’elle m’a transmises.

(2) Langue des Circassien·nes, minorité du Caucase issue d’une déportation pratiquée par l’empire russe à la fin du 19e siècle.

Lire aussi > Les Kinks, (presque) rois du rock

Pour lire tous les articles de la série > #AutourDeNosChambres

Musique
Temps de lecture : 3 minutes
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