Le travail de la pensée

La revue Actes de la recherche en sciences sociales, engagée pour les luttes sociales, explore les « affinités électorales ».

Olivier Doubre  • 16 septembre 2020 abonné·es
Le travail de la pensée
Plusieurs revues se sont mises en grève contre la réforme des retraites et les atteintes à la recherche.
© Ugo Padovani/APJ/Hans Lucas AFP

Près de 60 pages blanches, avec une marge à gauche sur chaque feuillet, tel un cahier d’écolier. En mars 2020, Actes de la recherche en sciences sociales publiait un « numéro blanc », que « tout le monde peut s’approprier » : libre à chacun de le « garder intact ou [d’]en faire un journal de luttes ». Le 8 janvier, la revue s’était déclarée en grève, ce qui a « signifié la suspension du processus de production habituel, notamment l’évaluation des articles et la préparation puis la publication des numéros en cours ». Elle s’intégrait ainsi à un mouvement plus général (142 revues académiques, « en grande majorité issues des sciences humaines et sociales françaises », au 26 février) contre le projet visant les retraites, contre la réforme de l’assurance-chômage adoptée à l’automne 2019, mais aussi « contre les propositions contenues dans les rapports pour la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) ».

Cette mobilisation « historiquement inédite » soulignait, comme l’indique la déclaration du Collectif des revues en lutte (reproduite en ouverture du numéro), combien la LPPR « ne fera qu’aggraver le manque de moyens, de postes et de stabilité, et approfondir les inégalités qui minent l’enseignement supérieur et la recherche, et que deux décennies de “réformes” massivement contestées n’ont cessé d’amplifier ». Mais la pandémie du Covid-19 et les mesures de confinement généralisé, si elles mirent un coup d’arrêt – provisoire ? – aux réformes voulues par le gouvernement, ont freiné aussi cette unité d’action des revues et des chercheurs. Il faut espérer que les projets pour la recherche et l’enseignement supérieur de l’actuel exécutif parviennent à être empêchés par l’engagement des chercheurs, notamment en sciences sociales.

Quoi qu’il en soit, celles-ci se doivent de poursuivre leurs analyses et leurs enquêtes, puisque leurs travaux, surtout dans le cas de la revue fondée en 1975 par Pierre Bourdieu, se veulent également des sources censées éclairer l’action politique. Et, alors que l’on ne cesse – déjà – d’évoquer l’élection présidentielle de 2022, un passionnant premier numéro post-confinement vient de paraître, consacré à la question des « affinités électorales ». Il s’attache à étudier les nouveaux « ajustements » entre l’offre politique et les attentes sociales des électorats, aussi bien parmi la « bourgeoisie économique » qu’au sein des classes populaires, du XVIIIe arrondissement de Paris au monde rural, lequel connaît une certaine « banalisation du Front national au village ».

Au-delà de ces articles, l’engagement d’Actes continue de s’inscrire dans la lignée de la phrase de Pierre Bourdieu (reproduite au dos du numéro « blanc ») : « L’histoire sociale enseigne qu’il n’y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l’imposer »

Actes de la recherche en sciences sociales n° 231, mars 2020, 80 pages, 16,20 euros, et n° 232-233, juin 2020, 112 pages, 20,30 euros, Seuil.

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