La crise sanitaire fait voler en éclats les contre-pouvoirs

Des juridictions supposées indépendantes approuvent la centralisation du pouvoir par l’exécutif, à l’instar du législatif dont le rôle de « chambre d’enregistrement » n’échappe plus à personne, déplore l’avocat Vincent Brengarth.

Vincent Brengarth  • 4 mai 2021
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La crise sanitaire fait voler en éclats les contre-pouvoirs
© Photo : Mathieu Menard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Vendredi 30 avril, le juge des référés du Conseil d’État a refusé de suspendre les épreuves du brevet de technicien supérieur (BTS) et de permettre sa validation grâce aux notes obtenues en contrôle continu. L’année dernière pourtant, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, avaient fait le choix d’attribuer le diplôme sur le fondement du contrôle continu au cours de la formation afin de « tenir compte de l’état d’urgence sanitaire et de garantir la sécurité des personnels et des étudiants », et de « ne léser aucun candidat en assurant l’égalité de traitement entre des candidats qui auront subi des périodes de confinement et des modalités de continuité pédagogique variables ».

Dans le même temps, les épreuves de spécialité du baccalauréat ont été annulées et, au Royaume-Uni notamment, les examens de fin d’année n’auront pas lieu. Cette décision du Conseil d’État, qui tranche avec le principe de précaution jusque-là pratiqué par le gouvernement, n’aura pas été débattue démocratiquement malgré une situation sanitaire toujours incertaine.

Ce sont ainsi 180.000 étudiants qui se présenteront physiquement cette année aux épreuves dans des conditions sanitaires qui demeurent préoccupantes, et ce malgré la campagne de vaccination. Le 4 avril 2021, des étudiants se sont déjà rendus à la Maison des examens d’Arcueil pour passer leur examen d’anglais de BTS, sous la menace d’une note nulle en cas d’absence. Dans un entretien paru le 30 avril dans Ouest France, Emmanuel Macron déclarait, à propos de la réouverture des écoles : « Nous avons assumé cette priorité éducative et cette stratégie de vivre avec le virus, y compris face à un haut niveau d’incidence, supérieur à celui de nos voisins. » Cette décision n’est ainsi basée sur aucun fondement scientifique.

En avalisant la tenue des examens en présentiel des étudiants, sans répondre à leur état d’anxiété justifié, le Conseil d’État ne se contente pas d’approuver l’esquisse d’une amélioration sanitaire. Il valide une décision qui relève en réalité d’un choix exclusivement politique. La preuve en est que, le 14 avril 2021, alors que 5.838 patients étaient hospitalisés en services de soins critiques, cette même juridiction maintenait la fermeture des galeries d’art en raison de la « nette aggravation de la crise sanitaire sur le territoire métropolitain ». Dans ce contexte, comment expliquer que les épreuves de BTS du 11 avril 2021 aient, elles, été maintenues alors qu’à la veille de l’audience la barre des 6.000 patients en réanimation était franchie ? Une incohérence flagrante apparaît entre deux décisions prises par la même juridiction à quelques semaines d’intervalle.

Pourtant, dans ses précédentes décisions, le Conseil d’État pouvait donner le sentiment de justifier l’approbation de mesures restrictives en favorisant une logique de « précaution absolue ». La décision prise vendredi dernier marque ainsi un nouveau pas dans la proximité structurelle entre le Gouvernement et le Conseil d’État, le sens du contrôle étant finalement fonction des orientations politiques voulues. De plus, la réalité de l’amélioration sanitaire aurait pu être discutée, tout comme l’incohérence dans le fait d’avoir, l’an passé, permis la continuité pédagogique par le contrôle continu pour les étudiants en BTS à partir du principe de précaution. Le Conseil d’État, théoriquement indépendant, approuve ainsi l’incohérence décisionnelle du gouvernement, comme si tout cela n’était qu’affaire de choix politique.

On se souvient que, dès le début de la crise, une loi organique du 30 mars 2020 avait eu pour effet de suspendre les délais d’examen des questions prioritaires de constitutionnalité, comme le signal annoncé d’une mise en retrait du contrôle constitutionnel et juridictionnel. Il est surprenant de constater que des juridictions supposées indépendantes approuvent la centralisation du pouvoir par l’exécutif, à l’instar du législatif dont le rôle de « chambre d’enregistrement » pour les décisions gouvernementales n’échappe plus à personne.

Plus d’un an après le début de la crise sanitaire, et alors que les partis politiques se consacrent désormais à l’élection présidentielle, les vrais contre-pouvoirs demeurent inexistants alors que s’allonge la liste des fausses notes (gestion de la capacité hospitalière en réanimation, de la politique vaccinale, du port du masque…). Que pourrons-nous véritablement attendre de la Cour de justice de la République, juridiction d’exception devenue obsolète, si elle examine les choix qui ont été opérés à la lumière des décisions prises par des juridictions comme le Conseil d’État, qui ne sont elles-mêmes plus que le reflet de celles du pouvoir exécutif ?

Selon la courbe de l’opinion, les débats politiques finissent pour grande partie par se polariser sur les questions de sécurité, comme si l’évolution de la société s’était gelée depuis la dernière élection présidentielle. Pourtant, la crise sanitaire a révélé celle, qui était en sommeil, des institutions et la perte de confiance des citoyens à leur égard qu’elle engendre, même si les craintes liées à la situation semblent juguler la contestation sociale. Nombreux seront les candidats à critiquer la gestion de la crise sanitaire, beaucoup moins seront celles et ceux à proposer un plan visant à rétablir l’utilité de contre-pouvoirs dont l’existence n’est plus que théorique.

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