Mai 1981 : Une rafale de décisions de rupture

Une intense activité réformatrice s’est exprimée deux ans durant. Rappel des principales mesures adoptées.

Michel Soudais  • 5 mai 2021 abonné·es
Mai 1981 : Une rafale de décisions de rupture
Un portrait de Louis XV est sorti de l’Élysée, le 15 mai 1981.
© MCHEL CLEMENT/AFP

Dès son entrée en fonction, le 22 mai 1981, le gouvernement de la gauche entreprend de marquer la rupture avec ses prédécesseurs de droite. Les réformes s’enchaînent à un rythme soutenu jusqu’au tournant de 1983. Acceptées parfois par une droite sonnée, souvent violemment combattues par les jeunes bretteurs d’une opposition radicalisée, jugées insuffisantes par divers cercles militants, elles n’en ont pas moins marqué un changement d’époque dans sept domaines.

Partage des richesses

Le 3 juin, le Conseil des ministres décide d’une hausse des principales prestations sociales au 1er juillet. Le Smic est revalorisé de 10 % ; le minimum vieillesse est majoré de 20 % et l’allocation versée aux handicapés adultes portée au même niveau ; les allocations familiales sont augmentées de 25 %, comme l’allocation logement, dont un second relèvement de 25 % est programmé au 1er décembre. À l’automne, le projet de loi de finances pour 1982 crée un impôt sur les grandes fortunes, relève de 60 % à 65 % le taux supérieur de l’impôt sur le revenu et applique un taux de prélèvement additionnel exceptionnel de 25 % sur les revenus supérieurs à 100 000 francs.

La loi de nationalisation, promulguée le 13 février 1982, après la censure par le Conseil constitutionnel d’une première version qui, aux yeux des « sages », n’indemnisait pas assez les actionnaires, permet de prendre le contrôle de la quasi-totalité du secteur bancaire et de neuf des plus importants groupes industriels. Passent ainsi en totalité sous le contrôle de l’État la Compagnie générale d’électricité (CGE), Thomson-Brandt, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain, Usinor et Sacilor, tandis que Matra et Dassault sont contrôlés, eux, à 51 %.

Des droits nouveaux pour les travailleurs

Le 13 janvier 1982, le gouvernement abaisse à 39 heures la durée hebdomadaire du travail et accorde la cinquième semaine de congés payés. Il entérine ainsi un « protocole » conclu le 17 juin 1981 entre le patronat et les syndicats, sauf la CGT. Mettre en œuvre la 82e des 110 propositions du candidat socialiste – « Le droit à la retraite à taux plein sera ouvert aux hommes à partir de 60 ans et aux femmes à partir de 55 ans » – s’avère plus compliqué. Une ordonnance du 26 mars 1982, oubliant les femmes, l’instaure au 1er avril… 1983. Un délai nécessaire pour obtenir que les retraites complémentaires, gérées par les partenaires sociaux, s’enclenchent aussi à 60 ans.

Simultanément, une ordonnance du ministère du Temps libre crée les chèques vacances, afin de faciliter le départ en congés des salariés aux revenus modestes au moyen d’une aide personnalisée. Entre juillet et décembre 1982, les lois Auroux modifient un tiers du code du travail. Guidées par l’idée que, « citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être aussi dans leur entreprise », elles reconnaissent le droit à l’expression des salariés dans les entreprises de plus de 200 salariés, accroissent le rôle économique du comité d’entreprise, majorent le crédit d’heures des délégués syndicaux, rendent obligatoire la négociation collective et renforcent les pouvoirs des comités d’hygiène et de sécurité.

Relève également de ce domaine la loi Quilliot (juin 1982), qui modifie profondément les rapports entre propriétaires et locataires en reconnaissant, pour la première fois, le droit à l’habitat comme un droit fondamental. En l’instaurant comme cofondement du rapport locatif avec le droit de propriété, elle réglemente le bail d’habitation et régule les rapports entre bailleurs et locataires.

Décentralisation et démocratie

Les lois de décentralisation (mars 1982 et janvier 1983) façonnent un nouveau paysage institutionnel : la tutelle des préfets sur les collectivités locales est remplacée par un contrôle de légalité a posteriori ; la région devient une collectivité territoriale pleine et entière, administrée par un conseil régional élu au suffrage universel et à la proportionnelle ; l’État opère des transferts de compétences vers les communes, départements et régions, et clarifie celles de chacune de ces collectivités. Enfin, la loi électorale est réformée pour permettre une représentation de l’opposition dans les conseils municipaux.

Une société moins répressive

Mesure la plus symbolique de cette volonté, l’abolition de la peine de mort (30 septembre 1981) était une promesse du candidat. Le 29 juillet, une loi avait mis fin à la Cour de sûreté de l’État. Composée de trois magistrats et de deux officiers généraux, cette cour avait remplacé en 1963 le Tribunal militaire – juridiction d’exception temporaire instituée en 1961 –, pour juger les personnes accusées de porter atteinte à la sûreté de l’État, qui n’étaient bien souvent « coupables » que d’infractions politiques. La suppression des tribunaux permanents des forces armées, réclamée depuis 1975 par quatorze organisations, interviendra en juin 1982.

L’abrogation de la loi « anticasseurs » est, elle, adoptée le 15 décembre 1981. Cette loi, dénoncée comme liberticide par toute la gauche, avait été adoptée deux ans après Mai 68. Elle dotait l’État de tout un arsenal juridique pour lutter contre les mouvements collectifs et manifestations entraînant des violences contre les personnes (attaques contre les forces de l’ordre, séquestrations de chefs d’entreprise) ou contre les biens (destructions de voitures, de mobilier urbain, incendies, etc.). Et instituait une responsabilité pénale et pécuniaire des auteurs de violences, mais aussi de simples manifestants, étrangers à ces violences.

Émancipation et libertés

D’autres décisions substituent à une société normative la perspective d’une société ouverte, tolérante et respectueuse de l’égalité de tous. Le 26 mai 1981, quatre jours après la formation du gouvernement, le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, suspend les expulsions d’étrangers sauf « nécessité impérieuse d’ordre public ». Le 11 août, les immigrés clandestins sont autorisés à régulariser leur situation. La loi du 9 octobre 1981 abroge les discriminations à l’encontre des étrangers introduites dans la loi de 1901 par le décret-loi du 12 avril 1939. Ce texte, qui visait initialement les activités des réfugiés d’Europe centrale, soupçonnés de reconstituer leurs partis politiques sous couvert d’associations et de vouloir entraîner la France dans une guerre contre Hitler, a bridé la vie associative des étrangers, même non politisés mais soupçonnés de l’être. Il avait notamment été utilisé en 1976 et 1977 par le ministre de l’Intérieur, Michel Poniatowski, contre de nombreuses associations, suscitant la création d’un collectif pour son abrogation. Celle-ci a rétabli la liberté d’association dans sa plénitude de principe et permis aux immigrés de s’organiser en associations. En juillet 1984, enfin, la gauche instaure la carte de séjour de dix ans renouvelable de plein droit. Elle simplifie un système très complexe des cartes de séjour et de travail et dissocie le droit au travail du droit au séjour des étrangers.

La loi du 4 août 1982 dépénalise définitivement l’homosexualité en abrogeant un article du code pénal hérité du régime de Vichy ; elle met fin à l’interdiction des relations homosexuelles entre un adulte et un mineur de plus de 15 ans. En décembre 1982, Yvette Roudy, ministre déléguée aux Droits des femmes, signataire du Manifeste des 343 (lire Politis du 1er avril 2021), fait voter le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale.

Libération des ondes

Le 2 octobre 1981, les députés adoptent la loi autorisant la création de radios privées locales, moyennant l’interdiction de la publicité et la stricte limitation de la puissance des émetteurs. Depuis 1978, des radios pirates tentaient de s’installer sur la bande FM, au nom de la liberté d’expression et en contestation du monopole d’État dans le domaine de la radio et de la télévision. Traquées par la police giscardienne, qui les brouillait, elles étaient régulièrement saisies et leurs responsables étaient inculpés. Cela avait été cas de François Mitterrand et de Laurent Fabius après une descente de police au siège du PS, qui émettait Radio Riposte. Cette libération des ondes entraîne un joyeux désordre, qu’une Haute Autorité de la communication audiovisuelle (ancêtre du CSA), créée en juillet 1982, va être chargée de réguler.

La culture encouragée

L’adoption par le Parlement, le 31 juillet 1981, du prix unique du livre est la première affirmation d’un ministère de la Culture qui va doubler son budget dès 1982 et élargir son champ d’action à de nouvelles formes d’art. Cette avancée culturelle et sociale, qui a permis de sauver l’existence d’un important réseau de libraires indépendantes, n’a jamais été remise en cause. Elle avait pourtant suscité une formidable offensive de la Fnac, Leclerc et autres grandes surfaces, appuyée par la presse économique.

À la tête du ministère, Jack Lang promeut la conception de salles de grande capacité situées à l’extérieur des villes, adaptées au rock et aux musiques populaires : c’est le concept de « zénith ». Celui de Paris est le premier d’une série de dix-sept salles réparties dans presque toutes les régions. En 1982, la première Fête de la musique est lancée dans la précipitation, le 21 juin. Une fête gratuite, non directive, ouverte à toutes les musiques « sans hiérarchie de genres et de pratiques ». Le succès est immédiat et, en moins de dix ans, l’idée est reprise dans 85 pays.