Non aux mythes verts, oui à l’agroécologie !

L’économiste Hélène Tordjman démonte les promesses de l’écologie marchande et des technosciences pour surmonter la crise climatique.

Erwan Manac'h  • 23 juin 2021 abonné·es
Non aux mythes verts, oui à l’agroécologie !
Un «u2009arbre épurateur d’airu2009» à Toulouse. Ou comment la technique cherche à réparer les dégâts qu’elle a elle-même causés.
© Lilian Cazabet/Hans Lucas/AFP

Le transhumanisme, la brevetabilité du vivant, la financiarisation de la nature, les nanotechnologies et l’intelligence artificielle sauveront-ils la planète ? Dans une enquête grand format sur le « capitalisme vert » et trente ans de promesses pour une croissance écologique, Hélène Tordjman, économiste à l’université Sorbonne Paris-Nord, également chroniqueuse pour Politis, inspecte les rouages d’un puissant mouvement d’adaptation du capitalisme industriel aux déboires qu’il a lui-même engendrés.

Le terrain d’exploration, dans les méandres de ce que l’auteure appelle l’« idéologie scientiste », est vaste. Les recherches visant une humanité « augmentée » n’ont comme limite que l’acceptabilité de leurs découvertes. Elles planchent par exemple sur de nouveaux gènes, des micro-organismes aux propriétés nouvelles ou encore des globules rouges génétiquement modifiés permettant à un humain de tenir sous l’eau pendant quatre heures. « Les brevets déposés concernent des fonctions de base, qui sont au fondement de la vie sur Terre, prévient Hélène Tordjman. Verra-t-on un jour Bayer-Monsanto propriétaire de la photosynthèse ? »

À cette palette s’ajoutent tout un arsenal d’« instruments de marché » créés de toutes pièces depuis près de trente ans pour rendre l’écologie profitable (1) ainsi que des nouvelles filières industrielles, sur le terrain des agrocarburants ou des mécanismes de capture et de stockage de carbone. Le monde de la finance et les grandes multinationales jouent ainsi un rôle-clé dans des choix engageant l’avenir de l’humanité. « Un pouvoir inégalé dans l’histoire du capitalisme », constate l’auteure.

L’analyse est tantôt factuelle et détaillée, illustrée de données scientifiques et d’exemples, tantôt macroéconomique et globale. Les croyances dans la croissance verte relèvent du même anthropocentrisme et de la même conception utilitariste de la nature qui nous ont conduits à la crise climatique actuelle, juge notamment Hélène Tordjman : « Paradoxalement, nous comptons répondre aux destructions provoquées par l’extension des marchés et le déferlement technique par encore plus de marché et de technique. »

Comme remède à la fatalité, l’économiste achève son enquête par un plaidoyer en faveur de l’agroécologie, qui pourrait créer des millions d’emplois avec une réforme agraire fondée sur _« une grande diversité de systèmes alimentaires, chacun inséré dans son territoire particulier, à l’histoire, à la géographie et à la culture spécifiques »__._

Un modèle qui devrait satisfaire les « esprits scientifiques », souligne Hélène Tordjman, car il demande beaucoup de connaissances et d’ingéniosité, augmentées d’un supplément de coopération et de sobriété. En un mot, d’humilité.

(1) Marchés de permis d’émission de gaz à effet de serre, dispositifs de compensation écologique, finance verte, etc.

La Croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande Hélène Tordjman, La Découverte, 352 pages, 22 euros.

Idées
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