Verdragon, la maison d’écologie populaire prend ses quartiers à Bagnolet

Le mouvement pour le climat Alternatiba et le syndicat de parents des quartiers populaires Front de mères s’allient pour ouvrir la première maison d’écologie populaire.

Vanina Delmas  • 11 juin 2021
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Verdragon, la maison d’écologie populaire prend ses quartiers à Bagnolet
© Crédits : Vanina Delmas

Au 14 rue de l’Épine Prolongée, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), une effervescence encore discrète mais joyeuse se fait sentir depuis quelques semaines. Les anciens locaux du centre social Tofoletti, situés à la lisière du parc des Guilands, accueilleront prochainement la première maison d’écologie populaire de France. Derrière cette initiative : le mouvement écologiste Alternatiba et le collectif Front de mères. « Dans un contexte d’extrême-droitisation du débat politique, il y a urgence à convaincre les gens et leur montrer en quoi l’écologie est un outil pouvant les rendre plus heureux », glisse Fatima Ouassak, porte-parole de Front de mères. La démarche et le lieu sont et seront éminemment politiques.

Pour se donner les moyens d’accomplir leurs projets visant à construire cette société soutenable et égalitaire, Alternatiba et Front de mères ont lancé un financement participatif. Atteindre le pallier de 20 000 euros permettrait de payer le loyer jusqu’au mois de décembre, de terminer les travaux de rénovation, de s’équiper mais aussi d’assurer l’embauche d’une personne pour animer le lieu. Vous pouvez encore faire un don jusqu'au 13 juin en cliquant ici.
Deux étages, plus de 960m2, un petit coin de verdure, une future cuisine pour mijoter des plats collectivement, une bibliothèque, un vaste espace partagé pour accueillir des débats, des ateliers, des conférences… « L’idée est de faire venir des savants mais aussi de partager le savoir des habitant·es, mettre en place un échange de savoirs du point de vue des quartiers populaires car nous ne voulons pas imposer quoi que ce soit, ou faire comme si la conscience écologique était absente des quartiers. Nous allons co-construire la programmation qui, je l’espère, rayonnera au-delà de Bagnolet », explique Elodie Nace, porte-parole d’Alternatiba. Sans oublier un volet plus pédagogique, artistique, poétique pour sensibiliser les enfants et les jeunes, cher à Fatima Ouassak :

L’écologie, c’est aussi la transmission car ce sont eux qui hériteront de ce monde. L’idée est aussi d’inverser la norme de transmission : quand on travaille avec les enfants et les ados dans les quartiers populaires, les parents suivent.

Première grande thématique au cœur de leurs préoccupations : l’alimentation. D’ailleurs la première bataille menée en 2019 par Fatima Ouassak et d’autres mères au sein du collectif Ensemble pour les enfants de Bagnolet concernait l’instauration d’une alternative végétarienne sérieuse dans toutes les cantines scolaires. Victoire : l’option végétarienne débarquera dans les assiettes à la rentrée 2021. Un long et rude combat (à lire ici) alors que c’est une question de santé publique.

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« Dans nos quartiers, les gens vivent moins bien, mangent moins bien, respirent moins bien, ont plus de problèmes d’obésité et diabète, etc », énonce Fatima Ouassak. Une AMAP spéciale a été créée en partenariat avec une maraichère de l’Oise, des ateliers autour des légumes seront organisés par des associations locales, le rituel du petit-déjeuner sera primordial… « D’où l’importance d’avoir un lieu avec une belle cuisine. Mais il faut aussi en faire un moment politique, pour que les familles viennent, s’en emparent, comme dans un centre de quartier, mais sans mépris de classe et en allant au-delà du simple geste consommateur. »

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La mission sociale de cette maison s’érigera pas à pas, et sur le long terme. Mais l’histoire des alliances qui ont permis sa naissance a commencé il y a quelques années déjà. En 2019, Alternatiba a invité Fatima Ouassak à La Base pour raconter son combat pour l’alternative végétarienne dans les cantines scolaires. Front de mères découvre l’importance d’avoir un espace pour s’exprimer, Alternatiba réitère son invitation. Puis leurs combats se sont peu à peu mêlés notamment autour de la lutte pour la justice sociale, climatique, la dignité pour tous et contre les violences policières. En juillet 2020, Alternatiba et le comité Adama ont organisé une mobilisation commune à Beaumont-sur-Oise, ville où est décédé Adama Traoré dans la cour de la gendarmerie. La génération climat et la génération Adama ont marché main dans la main, réunis autour d’un slogan puissant « On veut respirer !»

Un premier pas pour construire une écologie populaire, qui s’est accéléré avec le projet de maison. Cette fois, c’est l’alliance entre le duo d’associations et les élu·es de Bagnolet venant du monde associatif et de la liste citoyenne qui a été décisive. Sans oublier le soutien du maire socialiste de Bagnolet Tony Di Martino. L’ambition est grande : faire de Bagnolet l’avant-garde de l’écologie populaire en France, et « redonner du sens à l’expression écologie populaire dont le sens a été trop souvent galvaudé, utilisé pour critiquer une vision de l’écologie trop neutre, libérale, coloniale, pavillonnaire… »

Pour le Front de mères qui a connu de nombreux obstacles dans l’organisation de ses événements précédents, avoir un lieu dédié pour se réunir est une vraie nouveauté. Du côté d’Alternatiba, cela a déjà été expérimenté avec La Base, dans le 10ème arrondissement de Paris, et ses militants savent à quel point un local est précieux pour s’auto-organiser efficacement. Elodie Nace confirme :

Avoir un chez soi militant nous a permis de faire davantage de formation à la désobéissance civile, mais aussi de trouver du réconfort dans les moments de lutte difficile, et de célébrer les victoires ! En organisant des événements ouverts au public, on se met au centre du jeu, on impose notre agenda. C’est un point de ralliement vital !

Si l’expression « Maison d’écologie populaire » donne d’emblée le programme politique du lieu, son vrai nom, Verdragon, laisse plus de place pour co-construire un nouvel imaginaire collectif. Il symbolise cette coalition de pensées, d’actions, vient d’une réflexion commune, et reflète aussi cet entrelacement de luttes. Le nom devrait parler aux fans de la série Game of thrones puisque le verredragon est une pierre volcanique qui peut tuer les marcheurs blancs prêts à dévaster le royaume des vivants. « La série, et en particulier ces fameux marcheurs blancs peuvent être vus comme la métaphore du changement climatique, du désastre écologique et donc la roche verredragon symbolise la lutte contre le dérèglement climatique », ajoute Elodie Nace.

« Le dragon était déjà un symbole pour Front de mères car il incarne une puissance politique, la protection des enfants, et fait donc des mères un sujet politique alors qu’elles sont habituellement cataloguées comme douces… », explique Fatima Ouassak. De plus, le dragon renvoie aussi à la culture manga, extrêmement populaire auprès des jeunes des quartiers depuis quelques années. Déconstruire intelligemment les préjugés sera leur ligne directrice.

Le 31 mai, Front de mères a commencé en lançant un « Braquage de la fête des mères » en compagnie d’Assa Traoré, des femmes de chambres victorieuses de l’hôtel Ibis Batignoles, de la sociologue et écrivain Kaoutar Harchi… Cette dernière a résumé en une phrase le cap à tenir : « L’écologie ne peut pas être un privilège bourgeois ! »

L’inauguration prévue dimanche 13 juin de 14h à 21h donnera un avant-goût de l’énergie qui régnera à Verdragon. Au programme : une distribution de paniers de l’ AMAP, des activités pour les enfants, des visites du lieu, un repas à prix libre cuisiné sur place, des concert dans le parc Jean Moulin, des prises de parole mais aussi des ateliers sur les risques industriels et une table-ronde autour de la lutte de Plogoff, devenu un symbole de victoire populaire contre un projet de centrale nucléaire.

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Écologie
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