Haroun ou l’intelligence du rire

À près de 40 ans, l’auteur de Seuls, actuellement en tournée, s’est imposé sur la scène en maniant philosophie, sociologie et exigence.

Jean-Claude Renard  • 19 janvier 2022 abonné·es
Haroun ou l’intelligence du rire
© Lionel BONAVENTURE / AFP

Il faut voir Haroun s’exercer à la géopolitique à propos du monde arabe, partagé entre les Coptes, les Berbères et les Perses, entre ceux « qui supportent l’OM et ceux qui achètent le PSG », où l’on retrouve l’été « les Qataris sur les Champs et les Marocains dans les champs ». Il faut voir Haroun parler des violences faites aux femmes pour un gratin trop salé, évoquer l’univers juif et sa « grande muraille de lamentations ». Il faut écouter Haroun triturer la langue des managers de start-up, sur les anglicismes et la crasse bêtise des acronymes, sur les influenceurs, avec leurs « tartines au tofu en selfie », pêle-mêlé de beaufs qui tous veulent s’exprimer sur Facebook. Il faut l’écouter encore sur les mises à jour, les notices d’un appareil électroménager, l’ubérisation… d’Uber.

Il faut encore écouter Haroun évoquer les candidats anti-système, les mêmes qui courent après les « 500 signatures du système, qui passent à la télé du système. Candidat antisystème, c’est un oxymore ». Et d’expliquer au public la signification de ce terme. « C’est quand tu prends deux mots contraires pour en faire une expression. Par exemple, si je dis un lepéniste à la mosquée, oxymore ! Un charcutier juif, oxymore ! Un socialiste de droite… Heu, non, c’est Manuel Valls ! »

Absurde. Mais pas que. C’est pensé, réfléchi, ciselé. Un mot à sa place, une place pour chaque mot. Haroun, c’est d’abord une écriture convoquant les adjectifs. Sarcastique, ironique. Sale gosse du premier rang de la classe, alternant le bon, la brute, ignorant le méchant. Avec un débit verbal qui ne bute sur aucun mot, une langue déliée, élastique. Et ce diable de sourire en coin, complice de lui-même.

En 2017, il avait créé un spectacle unique commentant la présidentielle. Avec des militants ressemblant aux supporters de foot, « tous de mauvaise foi », s’amusant du « Pénélopegate ». Aujourd’hui, il tourne dans l’Hexagone avec un nouveau spectacle, Seuls, écrit d’un confinement l’autre, dans la pareille veine et verve. Mais avec un Haroun plus reculé sur le monde, plus philosophe et sociologue encore, un fagot désabusé, maudit et sans détour, quasi nihiliste et presque désespéré. Maturité oblige, peut-être. En cette année électorale, il ne remettra pas le couvert sur la présidentielle. Faute de temps. On devine aussi chez lui une certaine lassitude devant la vie politique, même si « tout est politique ! » dans ses sketchs.

« Moralement, c’est difficile de suivre une campagne. J’en ai, par exemple, marre de penser sur Éric Zemmour. Ça nous prend du temps, au détriment de choses plus intéressantes. Avec lui, on est dans l’épuisement de la pensée. C’est répétitif et abrutissant, du vide sidéral qui fait son jeu. » Ce qui n’empêche pas l’humoriste de porter un regard sur cette présidentielle. « C’est devenu de la téléréalité, du divertissement, du commentaire. On n’assiste plus à un débat mais à des punchlines. La politique, ce sont les citoyens qui la font, plus pertinents. Le fossé se creuse entre les candidats, ou ceux qui possèdent les médias et un peuple qui se morfond, même s’il existe un réveil citoyen. On peut aussi se poser des questions sur le système de vote, l’abstention, la Ve République, la validité d’un candidat élu avec 20 % de voix. » Haroun n’en finit jamais de réfléchir.

Seuls, Haroun, en tournée. Dates et réservations : www.haroun.fr Lire également son portrait dans _Politis, n° 1631, 10 décembre 2020.

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