Capitalisme, écologie et guerre en Ukraine

Réponses climatique et géopolitique sont aujourd’hui liées.

Jérôme Gleizes  • 30 mars 2022
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Capitalisme, écologie et guerre en Ukraine
© PATRICK PLEUL / dpa-Zentralbild / dpa Picture-Alliance via AFP

L ’argent qui finance cette agression est directement lié au changement climatique, puisque cet argent vient des énergies fossiles, pétrole et gaz. Si nous ne dépendions pas de ces énergies, la Russie n’aurait pas les moyens pour entreprendre cette guerre », déclarait Svitlana Krakovska, la représentante ukrainienne au Giec. Dans Carbon Democracy, Timothy Mitchell a théorisé le fait que la dimension démocratique d’un pays est inversement proportionnelle à ses ressources fossiles. Avec la guerre en Ukraine, nous avons passé un nouveau cap : c’est une arme. Cette guerre est biface. D’un côté, l’Occident prétend faire le blocus économique le plus sévère depuis 1945 et, de l’autre, tous les jours, plus de 650 millions d’euros sont versés en achat de pétrole, de gaz et de charbon (1). Toutes les banques russes sont exclues du système interbancaire Swift, sauf les deux plus importantes, qui gèrent les revenus issus de ressources fossiles. Nous sommes loin de la confrontation entre deux blocs ! Le capitalisme a la capacité de lier les blocs démocrates et autoritaires.

Les énergies fossiles ont été essentielles à l’accélération du capitalisme aux XIXe et XXe siècles. L’accès à des énergies à bas coût a permis d’accélérer la productivité, et donc la croissance. Mais ces énergies sont émettrices de gaz à effet de serre. Elles sont la première raison des changements climatiques qui ont fait entrer l’humanité dans l’ère de l’anthropocène. La realpolitik des pays occidentaux a amplifié notre dépendance au gaz et au pétrole russes, mais aussi à toutes les matières premières, dont l’uranium, provenant de régimes autoritaires. Notons cette corrélation entre économie fondée sur la rente géologique et régime autoritaire, que l’Équatorien Alberto Acosta avait décrite dans son livre La Malédiction de l’abondance.

Les pays occidentaux ont laissé prospérer des régimes autoritaires pour avoir un accès aux énergies fossiles à un prix faible. Dans les pays producteurs, une minorité a récupéré la rente au détriment de la population. Or, en se raréfiant, ces énergies deviennent stratégiques et constituent un moyen de pression sur les pays occidentaux. Par ailleurs, l’Europe est sensible à une autre forme d’énergie, l’électricité, à cause de son réseau interconnecté. De nombreuses centrales thermiques au gaz sont utilisées pour produire de l’électricité. Il faut assurer l’équilibre entre production et consommation. Une chute de la production allemande entraînerait un effondrement européen.

Réponses climatique et géopolitique sont liées. Si les écologistes avaient été écoutés dès la fin du siècle dernier, nous aurions réalisé les investissements nécessaires qui auraient permis à la fois de réduire les émissions de gaz à effet de serre et notre dépendance à des régimes autoritaires. La guerre en Ukraine doit accélérer la transition, sinon nous risquons de subir un effondrement si la Russie coupe l’approvisionnement en pétrole et en gaz du jour au lendemain. Nous constaterions alors notre absence de résilience, avant de subir les conséquences du dérèglement climatique. Cet été, la conjonction de la canicule et de la guerre pourrait s’avérer un cocktail explosif.

Par Jérôme Gleizes Enseignant à Paris-8.

(1) beyond-coal.eu/russian-fossil-fuel-tracker

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