Trois scénarios pour un scrutin

La dynamique de la Nupes, la nationalisation du débat et la participation déterminent trois paysages politiques possibles.

Michel Soudais  • 8 juin 2022 abonné·es
Trois scénarios pour un scrutin
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

À quelques jours du premier tour des élections législatives, une encourageante bise électorale souffle dans les voiles de l’alliance constituée autour de Jean-Luc Mélenchon. Dans la quasi-totalité des sondages, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), fruit d’un accord de gouvernement entre La France insoumise (LFI), Europe écologie-Les Verts (EELV), Génération·s, le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste (PCF), devance en voix la majorité présidentielle. Un scénario qu’Emmanuel Macron n’avait pas imaginé, persuadé qu’il était que sa réélection confortable face à Marine Le Pen lui permettrait de remporter facilement les législatives. Certes, aucune enquête d’opinion ne crédite la Nupes d’une majorité absolue. Mais dans le paysage politique issu du premier tour du scrutin présidentiel, composé de trois blocs de taille relativement homogène, le bloc des gauches et des écologistes est en dynamique. Les résultats du premier tour des élections législatives dans les 11 circonscriptions des Français établis à l’étranger l’attestent. Dans 10 de ces circonscriptions, considérées comme les plus macronistes de France, les candidats de la Nupes se sont qualifiés pour le second tour alors que la gauche divisée n’y était parvenue que dans 5 en 2017.

Ces résultats confirment que le principal enjeu des élections des 12 et 19 juin est de savoir qui l’emportera entre la droite macronienne et la gauche unie. En ciblant exclusivement Jean-Luc Mélenchon, le président de la République et ses affidés contribuent à installer ce duel entre « deux projets politiques, deux projets de société, deux projets institutionnels, deux projets sur les enjeux économiques qui sont radicalement différents », dixit Aurore Bergé, présidente déléguée du groupe LREM à l’Assemblée nationale.

Les sondages nationaux traduisent un rapport de force mais ne reflètent qu’imparfaitement la future composition de l’Assemblée.

Pourtant, cette nationalisation des élections législatives ne peut effacer tous les aléas d’un scrutin complexe. Les intentions de vote mesurées dans les sondages nationaux traduisent un rapport de force mais ne reflètent qu’imparfaitement la future composition de l’Assemblée nationale. Celle-ci dépend de 577 scrutins dans autant de circonscriptions, où les résultats diffèrent en fonction du poids local de chaque parti, de la personnalité des candidats investis et de la capacité des qualifiés au second tour à attirer les électeurs des battus du premier tour. Dès lors trois scénarios sont envisageables.

Le scénario noir d’un vote de validation

La tradition qui veut que les électeurs accordent une majorité au président élu quelques semaines plus tôt est respectée. Les électeurs âgés et aisés se sont mobilisés dans des proportions équivalentes au premier tour de la présidentielle. Les jeunes et les classes populaires, beaucoup moins. Les microformations regroupées dans une Fédération de la gauche républicaine, les dissidents du PS et les écologistes anti-Nupes ont grappillé des voix, sans atteindre la barre des 5 %, qui manquent à la Nupes pour se qualifier ou aborder le second tour dans des ballottages favorables.

Résultat, l’alliance LFI-EELV-PS-PCF plafonne à 170 députés ; une bonne centaine de plus que dans la législature précédente mais loin de la majorité requise (289 sièges) pour revendiquer Matignon. Avec une cinquantaine d’élus, Les Républicains (LR) ont perdu la moitié de leurs effectifs ; le Rassemblement national (RN) retrouve un groupe de 40 députés. Les candidats d’Emmanuel Macron, regroupés sous l’étiquette usurpée d’Ensemble !, obtiennent une courte majorité avec un peu plus de 300 sièges.

Emmanuel Macron, après une campagne qu’il n’a cessé d’esquiver en retardant la formation du gouvernement et en évitant de détailler ses projets, a les mains libres. Peut maintenant venir le temps de « la mise en œuvre d’une feuille de route radicale et profonde », selon le mot du député de Paris et ancien patron du groupe des marcheurs, Gilles Le Gendre, qui a promis un « tapis de bombes ». L’exécutif s’est engagé auprès de la Commission européenne, qui pousse à « réformer le système de retraite », à ramener notre déficit budgétaire sous la barre des 3 % en 2027, ce qui représente 80 milliards de coupes dans les budgets de l’État.

Ses députés sont programmés pour avaliser tous ses projets. Ils ne pouvaient être investis qu’en signant une Charte stipulant qu’« ils soutiendront [Emmanuel Macron] au quotidien et, de manière constructive, s’engagent tant à propager sa méthode qu’à l’encourager lors des votes ». Ce faisant, ils reconnaissaient être les représentants du Président et non des citoyens qui les élisent.

Macron privé de majorité absolue

Ce scénario est aujourd’hui le plus plausible eu égard à la faible popularité du chef de l’État, bien inférieure à ce qu’elle était au lendemain de son élection en 2017. Mais aussi à l’absence d’enthousiasme suscitée par la nomination d’Élisabeth Borne et de son gouvernement. Les candidats de la confédération électorale Ensemble ! (La République en marche rebaptisée Renaissance, le Modem, Horizons et Agir) sont bien arrivés en tête en nombre de sièges avec 270 députés mais, avec 225 élus, la Nupes s’affirme comme la principale force d’opposition, loin devant LR (40 députés) et le RN (30).

S’ouvre alors une situation d’incertitude institutionnelle. Plusieurs ministres battus dans leur circonscription doivent quitter le gouvernement : le ministre délégué à l’Europe, Clément Beaune, celui de la Fonction publique, Stanislas Guerini, la secrétaire d’État à la Mer, Justine Benin, le ministre des Solidarités, Damien Abad, fragilisé par des accusations de viol, et même Amélie de Montchalin, qui était en charge de la Planification écologique. Pour les remplacer, Emmanuel Macron doit puiser dans le vivier de ses députés avec l’inconvénient de devoir repousser la date du vote de confiance que tout gouvernement se doit d’obtenir. Les suppléants des ministres ne peuvent en effet prendre possession de leur siège qu’à l’issue d’un délai de trente jours après la formation du gouvernement.

Dans cette situation, le président de la République sera vraisemblablement tenté de former une coalition avec d’autres groupes parlementaires, essentiellement Les Républicains, confirmant le tropisme droitier de son mouvement politique.

La Nupes est majoritaire

Le 19 juin survient l’impensable, selon les macroniens, Marine Le Pen et LR. L’impossible, selon les commentateurs médiatiques. Les candidats de la Nupes arrachent de peu la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale : 295 contre 230 pour le parti présidentiel. La nationalisation du scrutin a gonflé la participation électorale dans les derniers jours de la campagne. Les 32 % d’électeurs qui s’étaient portés sur l’un des candidats de gauche à la présidentielle se sont déplacés à nouveau dans une grande proportion, permettant aux candidats de la Nupes d’être au second tour dans près de 500 circonscriptions. Par antimacronisme, une majorité de l’électorat populaire du RN s’est reportée sur eux.

Pour la première fois, une cohabitation surgit deux mois après la présidentielle, et en contradiction politique complète avec elle. Là où les macroniens annoncent « une déstabilisation majeure de la politique dans notre pays », Jean-Luc Mélenchon voit la fin de l’exercice « solitaire du pouvoir d’un seul homme » et promet « une reparlementarisation radicale de l’exercice du pouvoir politique ».

Jusqu’au 28 juin, date de la première séance de l’Assemblée élue et l’élection de son président, Emmanuel Macron peut temporiser. « Le président choisit la personne qu’il nomme Premier ministre en regardant le Parlement. Aucun parti politique ne peut imposer un nom au président », a-t-il prévenu le 3 juin dans un entretien à la presse régionale. Si aucune condition ne lui est imposée dans la Constitution, il ne pourra récuser Jean-Luc Mélenchon si la Nupes est majoritaire, celle-ci en ayant fait son objectif de campagne. Dans le cas contraire, le groupe majoritaire a le pouvoir de renverser un gouvernement qui ne serait pas en phase avec sa politique. Les cohabitations précédentes sous les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac ont montré que le président de la République peut juridiquement entraver (un peu) l’action d’un gouvernement du camp adverse. Pas s’opposer frontalement à une majorité parlementaire déterminée à appliquer son programme.