Bretagne : Quand Airbnb tue le logement

Dans le Finistère, la prégnance du tourisme a raréfié l’habitat disponible à l’année et fait grimper les prix.

Romain Haillard  • 20 juillet 2022 abonné·es
Bretagne : Quand Airbnb tue le logement
Louer un appartement sur Airbnb l’été permet de gagner en une semaine l’équivalent d’un mois de loyer en basse saison.
© Romain Haillard

Les murs de Douarnenez ont l’habitude d’être moins sages. En dehors de la saison touristique, les tags militants côtoient les volets fermés. En cette mi-juillet, les fenêtres s’ouvrent, les touristes prennent leurs quartiers, les habitants s’effacent, leurs messages avec. Là, dans une rue discrète, survit à la peinture noire délavée un « Ni dieu, ni maître, ni Airbnb ». Il y a un an, des habitants avaient inscrit un message, bien visible, lui, au bout de la jetée du port du Rosmeur : « Devenez riches ou partez ». Un slogan qui recoupe une réalité, tant les Douarnenistes, comme la plupart des Bretons, du littoral galèrent à se loger décemment.

En cinquante ans, la ville a perdu plus du quart de sa population, quand le nombre de résidences secondaires a doublé pour atteindre 15,9 %, un taux élevé pour une agglomération urbaine. Les résidences secondaires, les logements laissés vacants, Airbnb et la flambée des prix à l’achat comme à la location rendent la recherche d’un logement stable et décent difficile.

« C’est la loi du marché », pourraient arguer certains pour évacuer le débat. Lukaz Nedeleg, lui, parle plutôt d’« humiliation » et de « dépossession ». Ce brittophone a ses racines à Plonévez-Porzay, à dix minutes de voiture de Douarnenez. De retour dans le coin en 2019 après être parti de son Finistère natal, le trentenaire décide de jeter l’ancre à Douarn’ pour devenir conteur. Un projet de retour aux sources nourri depuis pas mal de temps. Mais, dès ses premières recherches, il prend conscience de la tension locative. « J’ai falsifié mon revenu fiscal de référence pour pouvoir simplement accéder aux visites et nous nous faisions passer pour un couple avec mon colocataire. » Faux CDI, fiches de paie bidonnées… Toutes les ruses habituellement réservées aux grandes métropoles ont cours ici.

« Loi du marché » pour les uns, « dépossession » pour les autres

La seule personne qui accepte le dossier des deux hommes est une dame âgée qui loue le troisième étage, insalubre, de sa maison. Avec la proprio, pas de contrat, tout passe par l’oral. Elle avait juste oublié de mentionner sa volonté de les voir dégager à partir de juillet. « Elle nous a donné trois semaines pour foutre le camp », rapporte Lukaz. L’appartement sera loué en Airbnb.

Grâce à ce système, les propriétaires peuvent multiplier leur rente immobilière : chaque semaine se loue au prix d’un mois en basse saison. Il suffit de jeter un œil sur Le Bon Coin pour saisir l’ampleur du problème : sur treize annonces de particuliers consultées (1), près de la moitié proposent des locations de septembre à juin seulement.

« Nous pensions que c’était légal, tellement c’était courant », déclare Maxime Sorin, désabusé. Cet habitant de Douarnenez fait partie du collectif Droit à la ville. Avec d’autres militants, les membres du collectif ont mené une recherche-action sur les difficultés de se loger dans la ville des « Penn Sardin (2) ». Le résultat de leur recherche sera publié sous la forme d’un livre au premier semestre 2023 : Habiter une ville touristique. Une vue sur mer pour les précaires (Éditions du commun). Le collectif n’a pas voulu se limiter à la production d’analyses, il apporte aussi son aide aux Douarnenistes en galère. Il accompagne les demandes à l’office HLM – 450 dossiers en attente pour 200 attributions par an (3) – et les procédures contre les baux illégaux. Le groupe a publié un guide d’autodéfense à destination des locataires, disponible sur le site Internet du collectif.

Barbara, 40 ans, peine aussi à se loger. Elle est arrivée avec sa caravane en Cornouaille il y a six ans. Après avoir essayé de se fixer dans le Morbihan, elle a décidé de pousser davantage vers l’ouest. « Je suis Galicienne, le vent dans la gueule et la pluie me manquaient », dit-elle un sourire dans la voix. Elle n’a jamais réussi à louer un appartement à Douarnenez, et encore moins à acheter un bien. Elle a tenté, mais, à deux reprises, elle était en concurrence avec 80 autres personnes et, sur une autre annonce, le particulier avait reçu 200 messages. « Je viens d’une famille pauvre, je n’aurai pas d’héritage, je vois les prix monter. Je ne me sens pas sereine pour ma vieillesse », confie-t-elle inquiète. Les prix des maisons anciennes à l’achat ont grimpé successivement de 6 % puis de 12,6 % dans le Finistère en deux ans, selon le baromètre de l’immobilier des notaires bretons.

Le problème n’est pas neuf, selon Fabrice Cadou, 47 ans, militant à War-Sav, un parti de gauche indépendantiste. « Je viens de Quiberon et il y a vingt ans déjà, quand j’ai voulu rester là-bas, je n’ai pas pu », déclare-t-il, désormais habitant de Morlaix, dans le Finistère. « Mais il y a un renouveau dans les luttes autour de la thématique du logement, ce problème fédère », admet-il.

D’autres collectifs se sont formés à travers la Bretagne. Agir pour Belle-Île-en-Mer, Ressac à Groix, Saint-Malo j’y vis, j’y reste, mais aussi à Lorient. Une partie de ces groupes ont répondu à l’appel du jeune parti indépendantiste Douar ha Frankiz (4). En novembre 2021, la campagne « Ti da bep hini » (Un logement pour tous) est lancée. Cette coordination rassemble des partis politiques comme l’Union démocratique bretonne, War-Sav, Dispac’h, des syndicats aussi, avec l’Unvaniezh Studieren Breizh (5)… Tous les membres de la coordination interrogés l’admettent, la cohabitation n’est pas toujours évidente. « Un collectif local comme le nôtre et un parti politique nationaliste breton n’ont pas nécessairement les mêmes agendas politiques », fait remarquer le Douarneniste Maxime Sorin, mais, pour lui, aucun doute : « La mise en réseau, c’est la base. »

Des militants plaident pour la création d’un statut de résident.

Surtout, la coordination s’est dotée de treize revendications. La plus connue d’entre elles est aussi la plus polémique : la création d’un statut de résident. L’achat d’un nouveau bien immobilier serait réservé aux personnes présentes sur le territoire depuis un temps à déterminer. Nil Caouissin, auteur du Manifeste pour un statut de résident en Bretagne (Presses populaires de Bretagne), milite pour une durée d’un an. Le parti indépendantiste Douar ha Frankiz prône, lui, une durée de cinq ans, calquée sur une revendication analogue de l’Assemblée de Corse. Ce statut rendrait quasiment impossible l’achat d’une maison secondaire, entraînerait une baisse des prix pour permettre aux locaux de pouvoir acheter de nouveau et donnerait de l’air au marché locatif.

« C’est une très bonne idée, mais il ne faut pas en faire un totem », réagit Gaël Roblin, élu municipal d’opposition à Guingamp et membre de War-Sav. « Aujourd’hui, nous ne pouvons pas gagner cette bataille. Aucun député ne pourrait défendre le vote de ce statut, décrypte-t-il. Et même si une année pour obtenir le statut de résident, ça ne me paraît pas stigmatisant, peu de personnes pourraient l’assumer. Même si c’est doux, ça reste du nationalisme breton. »

Nil Caouissin le concède : « C’est une revendication de long terme. » Par pragmatisme, l’élu guingampais préconise de mettre le paquet sur l’inscription de la Bretagne en zone dite tendue. « Aucune commune de la région administrative n’est inscrite comme telle », s’indigne l’élu, tandis que Saint-Nazaire, Saint-Herblain et Nantes, toutes trois en Bretagne historique, en bénéficient.

Si Nil Caouissin y accorde de l’importance, c’est que ce statut donne davantage de pouvoir d’initiative aux communes en matière fiscale. La taxe sur les logements vacants est imposée à partir d’une année sans occupation. À Douarnenez, par exemple, 10,8 % des logements sont inoccupés. La première année, la taxe s’élève à 12,5 % de la valeur locative puis à 25 % les années suivantes. L’inscription en zone tendue permet également de réguler les locations de courte durée. Cela concerne aussi Saint-Malo, à titre dérogatoire, la ville n’étant pas inscrite en zone tendue : depuis janvier 2020, la préfecture a autorisé la municipalité à contrôler les locations Airbnb. Les locations touristiques ne peuvent plus dépasser le taux de 12,5 % du total des logements dans le centre-ville, 7,5 % sur le littoral.

La zone tendue permet également de mettre en place une surtaxe sur les résidences secondaires. La commune concernée peut alors voter une augmentation de 5 à 60 % de la taxe d’habitation sur ces résidences. De ce côté, les militants basques ont une longueur d’avance. Le 11 juillet, la maison secondaire de Bruno Le Maire a été investie par des militants d’Euskal Herria Bai, à Saint-Pée-sur-Nivelle, dans les Pyrénées-Atlantiques. Ils réclament le déplafonnement de cette taxe.

Selon Nil Caouissin, cependant, il ne faut pas attendre un miracle de la surtaxe. « Le nombre de résidences secondaires ne va pas forcément baisser. À Saint-Nazaire, la taxe est au maximum, et ça marche bien pour acquérir des logements en accession sociale », rapporte-t-il. Gaël Roblin abonde : « Nous n’allons pas résoudre la tension immobilière avec la zone tendue, mais il faut un mot d’ordre simple et avoir des victoires d’étape pour construire un mouvement. » Lui voit dans les futurs débats autour du vote de la loi de finances à partir d’octobre l’occasion de mettre cette revendication à l’agenda. Le 10 septembre, deux manifestations seront organisées, une à Lannion et une autre à l’initiative de la coordination « Ti da bep hini » à Vannes. Et le stratège de War-Sav de conclure : « Il faut articuler la rue et la lutte institutionnelle, c’est le moment. »

(1) Annonces consultées le 13 juillet.

(2) « Tête de sardine en breton » : le surnom donné aux Douarnenistes.

(3) Chiffres indiqués par Catherine Cavatz, directrice de l’office HLM Douarnenez Habitat sur le site de la ville.

(4) Terre et Liberté.

(5) Union des étudiants bretons.

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