« Together » : L’amour au temps du confinement

Arnaud Anckaert crée Together, du Britannique Dennis Kelly, qui revient sur une expérience collective récente à travers le portrait d’un couple.

Anaïs Heluin  • 20 juillet 2022 abonné·es
« Together » : L’amour au temps du confinement
Noémie Gantier et Maxime Guyon créent un jeu complexe de regards, prenant les spectateurs à témoin.
© Matthias Bailleux

Arnaud Anckaert fut le premier à faire connaître en France le Britannique Dennis Kelly, dont il met en scène à -Avignon la dernière pièce, écrite en février 2021. En 2011, rappelle-t-il dans le dossier de presse de son spectacle, il faisait traduire et monter Orphelins. Soit un huis clos familial qui interroge les dérives sécuritaires de nos sociétés.

Together, jusqu’au 26 juillet, Théâtre de la Manufacture, 04 90 85 12 71, lamanufacture.org
Si la précision a particulièrement lieu d’être, comprend-on dès les premières secondes de Together, c’est qu’il est question d’une période récente qui peut éveiller la méfiance du spectateur en quête de formes singulières. Disons-le, c’est du confinement qu’il s’agit.

Interprété par Noémie Gantier et Maxime Guyon, le couple – il y en a souvent chez Dennis Kelly – de la pièce ne tarde pas à prononcer le mot entré depuis 2020 dans le langage courant. Autour d’une table de cuisine plantée au milieu des spectateurs, qu’ils regardent comme on prend à témoin, les deux protagonistes exposent leur situation. Ils ne s’aiment plus. Pire, ils ne ressentent plus l’un pour l’autre que du dégoût, et ils vont devoir rester enfermés ensemble, avec leur enfant, Arthur, surnommé « Arty » par le père (la mère déteste ça), qui lui n’est pas nommé par l’auteur. Pas plus que sa femme. Rien de ce qui leur arrivera dans Together ne les aidera d’ailleurs à atteindre la densité de véritables personnages.

Cette femme et cet homme n’existent que par notre présence, ils sont notre miroir et ne se privent pas de nous le faire remarquer. C’est là tout l’intérêt de la pièce. Excellents dans leurs rôles d’exhibitionnistes sans limites ou presque – la mort de la grand-mère en Ehpad ou encore l’évolution de leur sexualité nous sont racontées dans les menus détails avec un plaisir évident –, les deux acteurs créent le complexe jeu de regards que suscite le texte. À travers les méandres amoureux de son couple, pleins de la banale cruauté dont il a fait l’une des marques de son écriture, l’auteur interroge la notion de représentation. Avec une langue dont les apparences simples, quotidiennes, cachent une extrême précision, Dennis Kelly utilise le théâtre pour creuser la part intime de son sujet.

Le dispositif sommaire mais efficace d’Arnaud Anckaert et le jeu aiguisé des deux acteurs font pleinement saisir le trouble qui se déploie dans Together. Comment faire exister une relation, de même qu’une identité, lorsqu’on est privé d’un autre à qui les montrer ? Cette question, que pose le rapport très étrange des comédiens au public – la raison pour laquelle ils se livrent à leur grand déballage n’est jamais donnée –, s’ancre dans la situation du confinement pour aller bien plus loin.

Tout en tension, malgré un comique qui repose beaucoup sur la proximité entre le texte et une expérience collective récente, Together plonge dans l’extrême repli pour dire l’isolement « normal » installé depuis longtemps dans nos sociétés. Il a l’intelligence de ne pas critiquer le phénomène, mais de le donner à voir en gros plan, avec ses -laideurs mais aussi ses petits -trésors, ses lucioles.

Théâtre
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