Le plan Royal: du massacre au sacre!

Michel Soudais  • 14 novembre 2008
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A quelques heures de l’ouverture du congrès de Reims, le plan de Ségolène Royal pour s’emparer de la direction du PS qu’elle transformera en un « New PS » à sa botte se dessine distinctement. Retour sur trois jours de vraies-fausses négociations et quelques confidences pour un décryptage de la stratégie de Sainte-Ségolène. Ou comment tirer parti du massacre annoncé (par le Canard enchaîné) pour être sacrée reine des « socialistes ».

Lundi 10 novembre, au Sénat. Après un week-end riches en déclarations désordonnées des principaux porte-parole de la motion qu’elle avait signé, Ségolène Royal reprend les choses en main au cours d’une réunion de cadrage des responsables départementaux de sa (désormais) motion. La grande prêtresse de la démocratie participative y exige et obtient de ses troupes qu’elles ne montrent plus qu’une seule tête, la sienne. Elle fait savoir dans les médias qu’elle va adresser un « document de travail ouvert » aux représentant des autres motions qui pourront lui faire part de leurs remarques et enrichissements éventuels.

Les «royalistes» jouent une transparence factice…

Mardi 11 novembre, tôt dans la matinée. Le site internet du Monde annonce que « Ségolène Royal sera candidate à la direction du PS » . L’information, qui n’est pas démentie, mais pas plus confirmée, menace l’armistice fragile qui s’est installé entre les courants depuis le vote du 6 novembre. Au même moment, les journalistes du Monde publient sur leur blog le document de travail adressé par Mme Royal à Bertrand Delanoë, Martine Aubry et Benoît Hamon. Comment l’ont-ils obtenu ? Leur post est muet sur le sujet. Il est toutefois patent que la fuite ne peut provenir que de l’équipe « royaliste » . Peu importe que ce document extrêmement succinct, inconsistant et vague [^2], ne ressemble en rien à une future motion finale de congrès. L’important est de faire croire à la volonté de rassemblement de la candidate perpétuelle. Et de désamorcer, ce faisant, les velléités de regroupement de tous ceux (potentiellement 70 % des adhérents) qui ne veulent pas la voire accéder à la tête du PS.

Mercredi 12 novembre, 19h26. Cette stratégie de transparence se répète. Cette fois, c’est Nicolas Barotte, le journaliste du Figaro en charge du PS, qui reçoit copie des réponses que Ségolène Royal a personnellement adressées à Delanoë, Aubry et Hamon. Lui aussi les publie sur son blog, en assortissant ce scoop livré en mains propres de ce commentaire : « L’ancienne candidate à la présidentielle tente de lever leurs réticences à son égard en répondant sur le fond… » A moins d’une heure de l’entrevue que Mme Royal a obtenu avec Mme Ferrari dans le JT de Maison Bouygues, c’est du plus bel effet pour faire croire qu’elle veut vraiment rassembler.

… pour mieux circonvenir les militants

Mercredi 12 novembre, 20h40, Boulogne-Billancourt. A l’issue de son passage sur TF1, Ségolène Royal a convoqué quelques journalistes pour un débriefing . Là, elle laisse clairement entendre qu’à défaut d’un accord au terme du Congrès dimanche, « le suffrage universel » des militants prévu le 20 novembre pour élire le premier secrétaire « trancherait entre les orientations proposées aux socialistes » . « On n’est pas obligés de faire émerger aux forceps une majorité car, après, il y aura le vote des militants » , déclare-t-elle, confiante dans son aptitude à réunir une majorité. Une confidence qui éclaire et précise une réflexion assez elliptique faite sur le plateau du JT où, parlant des discussions en cours pour trouver un accord avec les responsables des trois autres motions, elle avait dit : «Si ce cheminement doit se poursuivre pendant le congrès de Reims, ce n’est pas un drame. Si le rassemblement se fait avant, c’est mieux. Mais s’il faut encore quelques jours, ce n’est pas un problème, puisque ensuite les militants trancheront jeudi prochain.» Derrière l’« envie » pointe la menace. Et le véritable plan de la Dame de fer du Poitou.

Peu lui importe d’obtenir un accord de fond avec les autres motions, « à l’ancienne » , suivant l’expression révélatrice de François Rebsamen, l’un de ses principaux soutiens. Et à bien lire l’entretien très détaillé que le sénateur maire de Dijon, homme d’appareil rompu à toutes les manœuvres, a accordé à Mediapart, le média où les amis de Mme Royal sont comme chez eux, un congrès de Reims qui tournerait au jeu de massacre serait le plus sûr moyen d’obtenir une mobilisation massive des militants en sa faveur. Des militants toujours prompts à se mobiliser pour voler au secours de Sainte-Ségolène martyr des « éléphants » et du « vieux parti » . Et qui auraient là l’occasion de sacrer leur héroïne.

Vers un «18 Brumaire» de Mme Royal?

« Je suis persuadé que, face à un accord d’arrière-salle de nos trois concurrents, elle l’emporterait à nouveau.** Le vote des militants amplifiera le vote des motions »* , assure Reb’s. Observateur cynique des mœurs du parti, il « ne croit pas que le « Tous sauf Ségolène » soit possible, car il y a chez Bertrand Delanoë et Martine Aubry des camarades qui sont attachés à la stabilité » . C’est sur ces élus et ces cadres prêts à privilégier l’ordre plutôt que des convictions qu’ils n’ont plus trop, pour préserver leurs intérêts électoraux ou leurs carrières, que le n°2 du PS compte pour réussir le 18 Brumaire de Mme Royal.

Un coup d’Etat permanent dont il dévoile les grandes lignes : En cas de congrès sans synthèse, « il y aura un premier secrétaire » légitimé par « un vote militant » qui avec « son exécutif » se présentera devant un délibératif hostile, le bureau national et le conseil national, explique-t-il, sans douter que la légitimité du premier primera et aura raison de ces instances désignées à la proportionnelle intégrale. « Nous ferons sans doute plus appel aux militants qu’aux instances du parti » , prévient-il en évoquant le recours à des « référendums militants » . « Nous avons usé les charmes de la proportionnelle intégrale au parti socialiste » , lance-t-il. Satisfait de voir sa candidate achever « la présidentialisation » du parti, il rappelle sa tentative avortée, au printemps dernier, de supprimer la proportionnelle intégrale pour la remplacer par « une prime majoritaire pour la motion arrivée en tête, ce qui favoriserait le rassemblement plutôt que la division » .
Un congrès de discorde, accélérerait la mise en place d’une telle réforme, qui même habillée de « démocratie directe » sonnerait la fin de toute voix discordante.

C’est déjà la règle qui prévaut dans les autres partis socialistes et sociaux-démocrates européens. Cela n’a jamais été le cas en France, où la proportionnelle fait partie de l’identité du parti socialiste. Pas seulement depuis Epinay. Mais depuis son congrès fondateur en… 1905. Il y a plus d’un siècle. Au congrès de Tours, contre les partisans du ralliement à la IIIe internationale communiste, Léon Blum avait défendu la représentation proportionnelle comme «le gage matériel de la liberté de pensée» . Un de ces principes qu’on ne peut «faire disparaître sans transformer ce Parti dans son essence» .

L’avertissement vaut toujours.


[^2]: Sur la question européenne il se contente d’écrire : « Réorienter l’Europe pour la relancer. » Vers quoi ? Comment ? Rien n’est dit.

Temps de lecture : 6 minutes
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