D’Encourageantes Nouvelles De La Moralisation Du Capitalisme Nous Arrivent Du Chili (Et Nous Changent, Agréablement, Des Quotidiennes Gorilleries Du Caudillo De Caracas)

Sébastien Fontenelle  • 18 janvier 2010
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Pour étonnante que puisse nous paraître[^2] l’obstination que mettent ces pauvres noeuds à laisser partir sans eux les trains de la modernité: il y aurait encore, me dit-on, quelques égaré(e)s Françai(se)s, pour continuer de considérer que la proposition kozyque de moraliser le capitalisme relèverait d’un, je cite, «foutage de gueule de niveau 8 sur l’échelle de Baverez» .

Cet obscurantisme dégoûte, et je suppose qu’il nous faudra bien nous résoudre, nonobstant notre (capitaliste et morale) répugnance à user de procédés rugueux à l’heure d’apostasier la brebis moyenâgiste, recourir contre ces dinosaures à une petite coercition – parce que bon, toi, je sais pas, mais de mon côté, franchement: je n’ai aucune intention de laisser dix rouges faire chier le monde.

Mais, tout de même: avant que d’en arriver à cette pénible (mais juste) obligation, je voudrais, si tu en es d’accord, que nous essayions, une fois encore (la dernière, c’est promis) de les sauver de leur passéisme soviétique en leur montrant que oui, les ami(e)s, oooooh, ouiiiii, mes frères & soeurs, le capitalisme est beau, sing along with Claude Bébéar, – et que sa moralisation est pour demain après-midi, un peu après 15 heures, comme l’a prédit Kozy.

Et justement, l’actualité nous offre, comme en cadeau, une élection témoin (de l’imminence de cette bouleversante révolution morale): celle du «nouveau président chilien de droite, Sebastian Piñera» , dont le prénom est magnifique, et dont le patronyme porte, si qu’on lui ôte son tilde, la promesse originelle du capitalisme.

Le gars est riche, à «1,2 milliard de dollars» .

(Déjà, c’est bon signe: les pansu(e)s possédant(e)s sont, comme tu sais, incorruptibles.

Pas comme les pauvres, qui n’ont d’autre hâte, sitôt qu’on leur consent du pouvoir, que de s’enivrer de pots de vin.)

D’où lui vient cette épargne?

Du temps béni du règne d’Augusto Pinochet, où de mauvaises langues[^3] prétendent voir (au fallacieux prétexte qu’il était une vieille ordure fasciste), une, je cite encore, «passagère éclipse de la démocratie» , mais qui fut en réalité, pour qui sait ôter son oeillère, une parenthèse de liberté dans l’odieuse bolchevisation d’un continent qui, sans la mobilisation massive de la démocratie étatsunienne, serait, à l’heure actuelle, une espèce d’immense Venezuela – quelle putain d’horreur.

Dans cette édénique parenthèse, Piñera, nouveau gage de son attachement à d’élevés impératifs moraux, sut tenir son rang, puisque aussi bien il fut proche des fameux «Chicago Boys» , ces jeunes économistes libéraux plein d’entrain qui avaient trouvé à Santiago un terrain de jeu à la (grande) mesure de leur enthousiasme émancipateur, et dont le gourou – l’humaniste Milton Friedman – aimait à souligner d’une voix douce que rien n’est plus émouvant que la moustache d’Augusto, quand le soir tombe sur les geôles d’où montent les hurlements des communistes qu’on torture, et tiens, Esteban, ressers-moi donc un peu de cet excellent pisco .

«Le premier succès de M. Piñera a été l’introduction, en 1979, des cartes de crédit au Chili, un marché dont il détient 86 % des actions» – explique Le Monde .

Gestionnaire fin, il a également investi dans l’immobilier, les pharmacies et les systèmes privés de santé.

Itou: «Il contrôle la compagnie aérienne Lan Chile, privatisée par la dictature militaire» , dont nul(le) ne saurait sans déchoir prétendre qu’elle aura été chienne avec M. Piñera, puisqu’ «en juillet dernier, une ancienne ministre de la Justice de la dictature, Monica Madariaga, a confessé avoir fait pression sur des juges pour que Sebastian Piñera ne soit pas poursuivi pour des irrégularités commises dans les années 1980 par une banque, Banco de Talca, dont il était le gérant» .

Pour autant: il serait – bien sûr – inavisé de supposer que cet homme d’esprit (d’entreprise), «toujours bronzé, toujours souriant» , a fait l’amas de son magot sous le règne – et avec l’active complicité – d’un immonde régime fasciste contre quoi il a résisté, au contraire, de toutes ses forces (un peu à la manière dont quelques Français enrichis dans la Collaboration ont naguère pris le maquis dès 1944), en votant ««non» au plébiscite de 1988 par lequel le général Pinochet avait tenté de se maintenir au pouvoir» .

Nous avons là, tu l’as compris, un véritable héros, champion local d’ «une droite décomplexée» , qui estime qu’ «avoir travaillé pour la dictature n’est en soi «pas un crime»» , et qui dès lors, c’est cohérent, «n’exclut pas de compter d’ex-conseillers économiques du régime militaire dans son futur gouvernement» .

Son élection, immédiatement saluée par Kozy que réjouit cette opportunité, entre partisans de l’ouverture, de «renforcer l’amitié historique entre la France et le Chili» , est donc bel et bien la confirmation, pour qui en aurait sottement douté, que la moralisation du capitalisme est une réalité (qui nous change agréablement, j’espère que tu en conviendras, des ignominies du gorille de Caracas).

[^2]: À nous qui avons de long temps su voir qu’un monde sans libre concurrence exsuderait le même triste ennui qu’une bergerie sans loups.

[^3]: Les mêmes, généralement, qui refusent d’embarquer à bord du modernisme concurrentiel.

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