La Drone De Guerre (Don’t Be A Liberal Pussy, Buddy)

Sébastien Fontenelle  • 30 janvier 2010
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Illustration - La Drone De Guerre (Don't Be A Liberal Pussy, Buddy)

L’autre jour, je sais plus dans quel jité – je crois que c’était sur France 2 -, y avait ce long reportage sur la nouvelle guerre des airs, qui est si ludique, mâme Dupont, qu’on aimerait avoir la même sur nos Wii.

Ça commençait assez fort, avec un commentaire du genre, nous sommes dans un des endroits les plus secrets du monde (UDELPSDM), aux États-Unis d’Amérique, et ça va vous trouer le cul, mâme Dupont, mais c’est d’ici que sont pilotés les drones qui lancent des missiles sur des talibans, à 11.000 kilomètres de distance – reconnaissez quand même que c’est pas tous les jours que France 2 vous raconte des trucs aussi rares.

Traduction: les communicants de l’US Army, détectant que j’avais le profil type du servile passeur de plats, m’ont proposé de faire de moi un pubard de la tuerie high tech made in USA, et, naturellement, j’ai dit oui, merde alors, trois coups de langue au bas d’un gradé yankee sont pas cher payer pour être admis dans UDELPSDM.

Et donc, ça disait comme ça, en gros, que la guerre est quand même vachement plus jolie en 2010, mâme Dupont, qu’à l’époque heureusement révolue où elle se résumait à l’éviscération de l’occupant britannique par les kilteux de Mel Gibson, puisque sormais, raffinement technologique oblige, t’as le siège sanglé dans un fauteuil à roulettes à Asshole Town (UDELPSDM), t’appuies sur le petit bouton rouge, et bim, ça nique un digène à l’autre bout du monde.

C’est quand même un vrai progrès, ça met le muslim massacre à la portée du geek , plus besoin de s’emmerder avec des entraînements à la con, une simple maîtrise de Call of Duty suffira – et quand t’auras fini ton Dr Pepper, Buddy, ça serait bien que tu m’effaces les Pakis dont voici les coordonnées; et, s’il te plaît, essaie de faire ça proprement, cette fois-ci, l’autre jour t’as mis des morceaux de bébés partout, c’était franchement limite au niveau des droits de l’homme.

(Naaaaan, Buddy, je rigole: c’est des bougnoules – on les enc***, les droits de l’homme, don’t be a liberal pussy , Buddy.)

Bien sûr, l’envoyé spécial de France 2 dans UDELPSDM ne s’appesantissait qu’assez peu sur les dommages collatéraux de la drone de guerre – si que tu commences à gamberger, tu t’ôtes tout le plaisir du jeu -, de sorte qu’il faut chercher ailleurs les précisions qu’il omettait de trop développer, occupé qu’il devait être à lécher le fondement du major Smith.

Concrètement, le tir sur cible (supposément) pileuse depuis les sous-sols de l’Alabama donne des infos un peu sibyllines, comme, aujourd’hui: «Trois missiles ont frappé un site abritant des talibans tôt samedi matin dans la région de Mohammad Khel, dans la province du Nord-Waziristan frontalière de l’Afghanistan» .

Ou: «Depuis le début de l’année, plus d’une dizaine de frappes attribuées aux forces de la CIA présentes au Pakistan ont été menées dans cette zone tribale, où l’armée américaine vise des combattants talibans» .

Videmment: ces frappes violent quelques très menues dispositions du droit international, relatives, notamment, à la souveraineté des États – et plus généralement au droit des peuples à disposer de leur petit déj sans que des barbouzes US ravagées ne les anéantissent en jurant que ces foutus bâtards étaient des benladistes saturés d’intentions belliqueuses.

(Et puis de toute façon, personne ira vérifier, hein?

Puisque vos journaleux, quand vient le moment de choisir entre une incursion au Nord-Waziristan et la visite guidée d’UDELPSDM, optent généralement pour la solution 2, où les transferts aéroport-UDELPSDM et la demi-pension sont il est vrai compris.)

Mais bon, comme d’hab, si c’est Uncle Sam qui pratique le terrorisme d’État, c’est plutôt regardé comme une contribution désintéressée à la défense du monde libre: l’autre jour, le chef de l’État français, traité par Laurence Ferrari, n’a d’ailleurs pas manqué de lui rappeler que si qu’on perd l’Afghanistan, le Pakistan tombe, mâme Ferrari, et que si que le Pakistan tombe, le barbu va nous déferler sur avec la ferme et coutumière intention d’emburqer nos filles et nos compagnes, pire que dans un éditorial d’Ivan Rioufol.

(Et me dites pas qu’on vous a déjà fait le coup avec l’Irak, mâme Ferrari: un, c’est pas du tout la même chose – là tout le monde sait que le taliban est aussi à l’aise dans le Pakistan qu’un maire phobique dans l’UMP – et, deux, si vous me broutillez trop longuement les talonnettes, je vais vous demander de révéler le conséquent montant de votre salaire devant des millions de Françai(se)s, alors ta gueule.)

Et bon, a priori, l’aéronef lance-missiles sans (vrai) pilote a vocation à s’universaliser, comme souvent les merveilles de la technologie: en sorte que nous pouvons d’ores et déjà essayer d’imaginer ce qui se passerait si, par exemple, le gouvernement cubain, échaudé par trop d’attentats et pris d’une tardive envie de sécurité sur ses marches occidentales, envoyait quelques drones Hasta La Victoria vaporiser du béret vert à Fort Bragg (ou du néo-nazi cubain à Miami), dans le cadre, non moins (il)légitime au demeurant que celui où s’inscrit la CIA au Nord-Waziristan, d’une guerre préventive contre la terreur?

À mon avis: France 2 négligerait d’envoyer à La Havane, dans U(autre)DELPSDM, un appliqué JRI chargé de faire de belles nimages de Juan Felipe le gamer et de son joystick – mais bon, je peux me tromper.

Illustration - La Drone De Guerre (Don't Be A Liberal Pussy, Buddy)

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