Quelques résolutions…

Docteur BB appelle les politiciens à apporter aux enfants des conditions d’environnement à la mesure des enjeux.

Docteur BB  • 8 janvier 2019
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Quelques résolutions…
photo : JOHAN ORDONEZ / AFP

À l’occasion de cette nouvelle année qui débute, je voudrais m’autoriser à suggérer quelques résolutions à nos parlementaires et ministres, dans l’intérêt de nos enfants. Car, au-delà de l’idéologie libérale qui constitue d’ores et déjà nos chers bambins en sujets de droit, libres de leurs décisions (surtout lorsqu’il s’agit de consommer…) et déjà autonomes avant même d’avoir pu s’individuer, il conviendrait déjà d’assumer nos responsabilités collectives à leur égard, en leur prodiguant des conditions d’existence leur permettant de grandir dans les meilleures conditions possibles pour leur santé psychique et physique. On l’oublie souvent : derrière chaque droit de l’enfant, il y a surtout un devoir des adultes à leur égard. Dès lors, ceci suppose de prendre en compte l’environnement global dans lequel les enfants vivent au quotidien, leur écosystème, et ce à tous les niveaux.

Commençons par les aspects les plus concrets ou matériels :

Quel avenir pouvons-nous garantir aux générations futures alors que la transition écologique piétine, que la pollution environnementale s’aggrave, que le réchauffement climatique menace, etc. ? Allons-nous continuer à vivre à crédit sur le dos de nos descendants afin de garantir notre niveau de vie ? Devons-nous leur montrer l’exemple d’une illimitation de nos envies et de nos capacités prédatrices ? Est-ce faire preuve de responsabilité ?

De façon beaucoup plus immédiate : que fait-on pour protéger les enfants quand on leur sert des repas de cantine réchauffés dans des contenants en plastique rejetant des perturbateurs endocriniens ? Quid des particules fines, des pesticides, du glyphosate, des additifs dangereux autorisés pour l’industrie agro-alimentaire ? Peut-on accepter ce sacrifice de la santé des générations à venir au prétexte du rendement économique ? Sans parler des écoles polluées par les activités industrielles et autres scandales vis-à-vis desquels les pouvoirs publics font preuve d’une inertie déconcertante – d’autant plus lorsqu’il s’agit de populations plus précaires…

Petit rappel : en quinze ans, le nombre d’enfants de moins de 18 ans vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 16 à 20 %, soit trois millions d’enfants pauvres. On peut a priori imaginer qu’un quotidien tissé de précarité et de misère ne participe pas à favoriser un développement harmonieux… Est-ce pour autant une priorité de santé publique ?

Le QI baisse, paraît-il… Les explications les plus entendues impliquent justement des facteurs environnementaux (notamment les perturbateurs endocriniens). Étonnement, il semble presque tabou de soulever d’autres hypothèses, et notamment l’omniprésence des interfaces numériques et ses conséquences éducatives. Pourrait-il cependant y avoir une corrélation entre l’accès de plus en plus précoce à ses dispositifs et l’explosion des manifestations d’hyperactivité et de troubles attentionnels ? Sans vouloir dramatiser, les capacités de mémorisation des élèves sont en train de se déliter de façon drastique, du fait notamment de l’externalisation du stockage mnésique. L’effort, la persévérance paraissent dépassés, sauf pour les familles de classes privilégiées qui savent entretenir ses compétences et valider ainsi leurs privilèges sur un marché scolaire et professionnel ultra compétitif. Voilà le genre de propos que tiennent dorénavant les enfants : « pourquoi apprendre, tout est sur internet. Les profs ne servent à rien, il y a Google ». 

Le Dr Anne-Lise Ducanda, médecin de PMI, a également lancé un message d’avertissement il y a quelques temps concernant la prévalence de symptômes d’allure autistique chez des enfants de bas âge surexposés aux tablettes et smartphones. Les pouvoirs publics se sont-ils saisis de cette problématique rencontrée par les cliniciens de terrain ? (à noter que le Dr Ducanda est actuellement poursuivie en justice… nous y reviendrons). Les troubles du graphisme et de l’apprentissage de la lecture semblent également plus fréquents chez les enfants qui n’ont pas suffisamment mobilisé leur motricité du fait de l’utilisation exclusive d’écrans tactiles – les fameuses « petites poucettes ». De surcroit, les cardiologues pédiatriques ont récemment lancé une alerte pour souligner la perte significative de fonction cardiaque d’enfants de plus en plus sédentarisés et en surpoids, car ne pratiquant plus d’activité physique.

Le décrochage scolaire constitue également un phénomène largement sous-estimé et, à mon sens, un symptôme social particulièrement inquiétant – j’évoquerai cet enjeu de façon plus approfondie dans un autre billet. De façon très empirique, nous constatons un lien assez récurrent entre rupture de scolarisation et « enfermement » quasi addictif au sein de l’univers virtuel des « jeux en ligne massivement multijoueur » (MMOG pour les intimes). Sans pour autant prétendre à une causalité, cette corrélation devrait pour le moins interpeller.

J’évoque en passant les images pornographiques qui circulent sur les téléphones dans les cours de récréation, dès le primaire…

D’après un rapport récent de l’agence sanitaire, les ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables, les tablettes tactiles ou les jouets connectés peuvent avoir des effets directs sur les fonctions cognitives – mémoire, attention, coordination – des enfants. Enfin, parmi les principaux éléments générateurs d’insomnie chez les adolescents figurent les smartphones et ordinateurs, susceptibles de déclencher un état de tension et d’excitation, voire un « effet sentinelle », tout en dérégulant l’horloge biologique par stimulation lumineuse.

J’arrête là l’énumération. Néanmoins, rares sont ceux qui s’en émeuvent et, le cas échéant, ils passent sans doute pour des conservateurs réactionnaires – ce qui, par les temps qui courent, constitue sans doute une insulte intolérable. Ce ne sont pas tant ces outils numériques en tant que tels qui peuvent avoir des répercussions problématiques, que leur usage et les transformations qu’ils amènent dans les postures éducatives, dans les relations familiales, dans le lien à l’apprentissage, dans la confrontation au réel, etc.

Cependant, les intérêts économiques sont massifs, les enjeux idéologiques tout autant… Qui oserait remettre en cause la sacro-sainte liberté de se connecter partout et tout le temps ? Le droit et la liberté du consommateur ? Qui oserait questionner l’emprise de ces technologies numériques et leur impact potentiel sur la santé des enfants ? Le principe de précaution est largement balayé par la déferlante du progrès, et toute mesure de limitation serait désormais vécue comme une entrave liberticide. Faire de l’école un sanctuaire hors connexion, vous n’y songez pas !

Les établissements scolaires s’équipent massivement en outils numériques, et perdent leurs moyens humains (réduction massive de personnel dans le secondaire annoncée par le ministre de l’éducation nationale). Je ne sais pas si vous avez récemment eu l’occasion de pénétrer dans un collège : la présence des adultes ne saute pas aux yeux, contrairement à l’état d’agitation, d’agressivité, voire de brutalité qui y règne. En dépit de l’investissement remarquable, voire héroïque, des acteurs impliqués au quotidien (professeurs, CPE, assistantes sociales, etc.), les adolescents donnent parfois l’impression d’être livrés à eux-mêmes dans une arène impitoyable, et parqués dans des classes en sureffectif. Et quand cette violence n’est pas agie physiquement, elle se déploie à travers les injonctions de normalisation, via notamment la prégnance des apparats ostensibles de la consommation. Car il faut avoir le dernier smartphone, il faut porter telle ou telle marque, etc., sous peine d’être marginalisé. Les enfants sont de plus en plus tôt exposés aux injonctions du capitalisme, dans la mesure où ils constituent une cible privilégiée pour les publicistes : ils sont influençables, la pression du groupe de pairs est massive et, de surcroit, ils prescrivent de plus en plus les comportements de consommation de leur famille. Autant d’arguments pour les décerveler précocement et en faire de parfaits modèles standardisés d’homo consumericus. L’éducation nationale, qui contractualise des partenariats avec des entreprises comme Microsoft, ne semble pas opposer beaucoup de résistance à cette tendance…

Par ailleurs, on peut se demander ce qu’il en est actuellement du modèle de l’école républicaine, qui permettait à chaque enfant d’accéder à un socle de connaissances partagées, ouvrant les voix d’une citoyenneté éclairée voire la possibilité de poursuivre des études sur un mode méritocratique, quelle que soit son appartenance sociale. En tant que « pédopsychiatre de terrain », je fréquente beaucoup les établissements scolaires, des écoles privées huppées aux ZEP, et je suis de plus en plus frappé par la très grande disparité des savoirs enseignés pour une même classe d’âge. Dans certains établissements, la transmission se fera éventuellement, de surcroit, tant les conditions d’enseignement paraissent fragilisées. À l’évidence, le programme n’est pas le même pour tout le monde, ni les moyens mis effectivement à disposition. 

Les études PISA le soulignent à leur façon, en montrant à quel point le système scolaire français tend non seulement à se dégrader en moyenne (avec des taux d’illettrisme proche de 10% au collège), mais surtout creuse les inégalités. De plus en plus, les disparités sociales et territoriales s’accentuent, avec une tendance aux contournements des familles les plus dotées en capital économique ou symbolique et une ghettoïsation croissante des établissements les moins côtés. La mixité sociale devient un leurre, et ce cloisonnement des parcours fait le lit de tous les préjugés et de toutes les intolérances à l’égard de la différence – comment appréhender l’altérité lorsque l’entre-soi devient la seule expérience de socialisation ? La réforme des rythmes scolaires a encore contribué à fissurer davantage l’édifice républicain : désormais, chaque commune gère sa propre organisation du temps scolaire, et propose des activités pédagogiques sur le temps périscolaire en fonction de ses moyens… Bientôt, les établissements recruteront eux-mêmes leurs enseignants, passeront des appels d’offre pour financer leurs projets…En route vers l’école entreprise, introduction précoce à la réalité néolibérale et managériale ! Quant aux chantiers en cours, de Parcoursup à la réforme du bac, il parait évident qu’ils ne vont qu’aggraver ses fractures territoriales.

D’ailleurs, de plus en plus de familles semblent se méfier de l’école, voire se sentent menacées par cette institution censée introduire à la vie collective. Un exemple parmi tant d’autres : des parents refusent désormais de laisser leurs enfants partir en classe transplantée, sans négociation possible, en dépit des efforts déployés par l’équipe pédagogique pour faire valoir l’intérêt de telles opportunités. Symptôme inquiétant d’un pacte social qui s’ébrèche et d’une anomie de plus en plus prégnante.

Alors, oui, si on espère donner des droits à nos enfants, assumons déjà nos devoirs envers eux, et donnons leurs des conditions d’environnement à la mesure de nos responsabilités. Prenons soin de nos descendants, prenons soin de notre avenir et de notre humanité. Tout engagement politique devrait commencer par là. Les solutions ne sont pas évidentes, et supposent du courage et de l’ambition, sur le long terme. Chers politiciens, à vos résolutions !

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Temps de lecture : 10 minutes
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