La santé en prison : droits dedans

Un certain consensus s’établit sur l’urgence d’améliorer les conditions pénitentiaires en France. Mais, dans les faits, ni la loi ni les droits des détenus ne sont respectés, notamment en matière de santé.

Ingrid Merckx  • 8 février 2007 abonné·es

Quelle médecine dans les prisons ? Sur ce dossier, la législation française n’est pas trop en retard. Depuis la loi du 18 janvier 1994, la médecine en prison ne relève plus du ministère de la Justice mais du ministère de la Santé (sauf les hôpitaux pénitentiaires de Fresnes et des Baumettes). Les médecins qui prennent en charge les détenus sont des praticiens hospitaliers au même titre que ceux des hôpitaux publics. La loi du 4 mars 2002 établit que le prévenu peut bénéficier d’une suspension de peine lorsque son état de santé est incompatible avec son maintien en détention. Enfin, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées implique aussi les détenus. Le problème, c’est que ces textes ne sont pas, ou mal, appliqués.

Depuis six ans, les prisons françaises font l’objet de rapports alarmants émanant du Sénat, de l’Assemblée nationale, de l’Inspection générale des affaires sociales, de l’Inspection générale des services judiciaires, de l’Académie de médecine et du Conseil national du sida, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, du Conseil de l’Europe et du Conseil économique et social. Tous indiquent « que la prison demeure […] un lieu de non-respect de l’accès aux soins, de la protection de la santé et de la dignité de la personne détenue, malade, handicapée ou en fin de vie » , alerte le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans un avis paru le 8 décembre 2006 sur la santé et la médecine en prison. Le premier du genre pour cette instance. Mi-octobre, l’Observatoire international des prisons (OIP) a publié les résultats de la première consultation de détenus organisée en France. À la suite de quoi, des États généraux de la condition pénitentiaires se sont tenus le 14 novembre, pour déboucher sur une série de dix propositions de réforme que sept présidentiables se sont engagés à suivre (François Bayrou, Olivier Besancenot, Marie-George Buffet, Arlette Laguiller, Corinne Lepage, Ségolène Royal et Dominique Voynet). Parmi ces propositions : « Mettre fin à la détention indigne de personnes gravement malades » et « reconnaître l’ensemble de leurs droits fondamentaux aux personnes détenues » .

Tous ces événements convergents mettent en évidence l’écart entre la loi et la réalité dans les prisons, les bonnes intentions et la mise en oeuvre de politiques. Et la difficulté d’articuler sécurité et respect de la dignité.

Illustration - La santé en prison : droits dedans

Reims : une infirmière de la maison d’arrêt de Reims aux côtés d’une surveillant pénitentiaire, distribue des médicaments aux détenus le 16 juin 2004. AFP/Alain Julien

« Nous avons été frappés par une série de situations dramatiques, résume Jean-Claude Ameisen, médecin chercheur à l’Inserm, membre du CCNE et rapporteur, avec Chantal Deschamps et Mario Stasi, de l’avis du CCNE sur la santé et la médecine en prison. Elles concernent les détenus atteints de maladies mentales graves du type schizophrénie. Quel est le sens de la peine pour eux ? La prison est également inadaptée aux personnes handicapées, qui y subissent une forme de double peine. Et on continue à mourir en prison : 100 suicides en 2005, et 100 morts de maladie ou de vieillesse, malgré la loi de 2002 qui prévoit une suspension de peine pour raison médicale. La détention provisoire, qui devrait être une exception, est devenue la règle. De plus, la France bat des records européens de durée quant à l’isolement disciplinaire : celui-ci peut durer des années… Et les prisons françaises ont une grande difficulté à mettre en place des unités de vie familiale qui pourraient apporter un soutien affectif au détenu. Comme si la privation de relations affectives faisait partie de la peine… », énumère ce médecin . Parti des questions de santé, le CCNE a étendu sa réflexion à une série de manquements vis-à-vis des droits fondamentaux. Ses recommandations viennent renforcer celles des États généraux des conditions pénitentiaires. Le CCNE insiste également sur l’importance de préférer les peines de substitution à l’incarcération, et sur les problèmes éthiques que pose le rôle du médecin de prison, qui cumule, par exemple, les mandats d’expert (qui peut avoir à donner son aval pour le maintien d’un détenu au mitard) et de soignant.

« Le CCNE n’a pas analysé en profondeur l’ambiguïté du rôle du médecin , regrette le professeur Antoine Lazarus, responsable du Groupe multiprofessionnel des prisons créé en 1973 pour lutter contre le secret, l’arbitraire, et le rôle pathogène de la prison. La question du secret médical et les conditions de consultation des détenus entravés sont les raisons de sa saisine par l’OIP. Si cet avis renforce ce qui se dit depuis des années, il ne s’inscrit pas dans la rupture. » Or, des changements profonds sont nécessaires. Comme le réclamait, par exemple, ce manifeste paru dans le Monde en mars 2005 en réaction à une circulaire du garde des Sceaux, datée de 2004, qui impose les menottes et la présence d’un surveillant pendant la consultation médicale. Des conditions incompatibles avec la « relation médicale, faite de secret, de confidentialité, de subjectivité entre deux personnes, [qui] est impossible sous un regard extérieur. Renoncer à cette relation, c’est altérer la qualité des soins. Menottes, entraves, présence de surveillants suggèrent l’insécurité et induisent la crainte », dénonçaient les signataires, dont Antoine Lazarus. Mais difficile, selon lui, de faire accepter le nécessaire dédoublement entre « le métier de punir » et le « métier de soigner ».

Un « Pôle suspension de peine » est né en novembre 2002, à l’initiative d’Act Up-Paris. Son objectif : « Promouvoir une application effective et égalitaire de la suspension de peine pour raisons médicales. » Présidente de l’ARAIP, une des associations membres du pôle, Valérie Laurent-Pavlosky fustige « l’absence de données épidémiologiques et statistiques dans les prisons, la non-centralisation des dossiers médicaux, l’absence de prévention et, surtout, le manque criant de structures d’accueil pour les détenus gravement malades et en fin de vie ».

« La société emprisonne ceux qu’elle a du mal à insérer : les malades mentaux, mais aussi les personnes précaires. De plus, la grande majorité des personnes incarcérées chaque année sont des personnes en détention provisoire, présumées innocentes, s’insurge à son tour Jean-Claude Ameisen. Il est temps de remettre en cause la perception de la prison par la société. Il faut aussi s’interroger sur le sens de l’incarcération. » Attention, cependant aux réactions émotionnelles, à « l’effet Véronique Vasseur » , prévient-il, en référence au court scandale provoqué par la publication, en 2000 de l’ouvrage de la médecin-chef de la prison de la Santé. « Il faut intégrer l’émotion dans une démarche de fond. Ne pas s’en tenir aux incantations et entrer, enfin, dans un véritable débat de société. »

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